Coalition inédite : jamais un gouvernement belge n’avait
bénéficié d’un soutien aussi faible du côté francophone.
Pour rappel, le MR a obtenu en effet lors du dernier
scrutin environ 25% des suffrages émis côté francophone, et 20 des 63 sièges
mis en jeu en Wallonie et à Bruxelles.
Le seul parti francophone du futur attelage gouvernemental
représentera par conséquent moins d’un quart du total des sièges qui le compose.
Coalition inédite, mais aussi inattendue, reconnaissons-le
sans honte : pas un seul
observateur ou acteur de la vie politique belge n’avait imaginé le 25 mai au
soir (voire même quelques jours après) une telle hypothèse, même sur le plan
purement théorique.
Cette hypothèse paraissait d’ailleurs à ce point
saugrenue lorsqu’elle commença à émerger qu’elle fut qualifiée en premier lieu
de « kamikaze ». Et à l’initiative d’un journaliste flamand encore
bien.
Personne ne l’avait imaginée avant le 25 mai dernier,
comme tant l’ont écrit ? Vraiment personne ?
Et bien non. Qui alors ?
Un Belgicain bon teint, dans un spasme de nostalgie
pour la Belgique unitaire de (grand-) papa ? Non.
Un membre du groupe « Pavia », regroupant
les promoteurs de l’idée d’une circonscription électorale fédérale à l’échelle
du Royaume ? Non plus.
Jean-Claude Van Damme, piégé par
François l’embrouille ? Même pas.
Le seul, à notre connaissance, à avoir évoqué l’hypothèse
d’une telle coalition, associant la NV-A, le CD&V et le VLD au seul MR côté
francophone, s’appelle Bart Maddens.
Bart Maddens est un politologue de la KU Leuven,
proche du « mouvement flamand », et résolument engagé depuis de
nombreuses années en faveur de l’autonomie complète de la Flandre.
Il participe régulièrement au débat public dans les
médias flamands mais aussi francophones, notamment à travers des chroniques
régulières.
Même en se situant le plus souvent à l’opposé de ses
opinions, il ne faut guère se faire violence pour admettre la qualité ainsi que
l’honnêteté intellectuelle de ses interventions, de même que l’éclairage utile
qu’elles offrent au débat démocratique.
Le 19 octobre 2010, le professeur Maddens se fendit d’une
carte blanche dans le journal De Morgen,
intitulée « Tijd voor een echt plan B ».
Écrite durant la crise politique qui suivit les
élections anticipées de 2010, provoquées par la chute du Gouvernement Leterme
sur « BHV », sa tribune ne se contentait pas de formuler le scénario
d’une coalition « kamikaze » à titre de simple hypothèse intellectuelle.
Elle allait beaucoup plus loin.
Recommandant la mise en place d’une telle coalition, Maddens
y voyait plus fondamentalement une stratégie alternative pour conduire le
mouvement flamand au « confédéralisme ».
(Stratégie « alternative » : alternative
aux négociations institutionnelles de l’époque, dont le résultat constaté par
Maddens ne semblait pas à la hauteur de ses espérances.)
Sa tribune était introduite par le chapeau suivant :
« Pour mettre fin à l’impasse politique, Bart
Maddens met une proposition nouvelle et radicale sur la table : un
gouvernement fédéral dominé par les Flamands. Avec la NV-A, le CD&V, l’Open-VLD
et le MR ».
Plus loin:
“Zo een coalitie
zou 75 van de 150 zetels hebben in de Kamer. Het zou volstaan dat één iemand
van de oppositie zich onthoudt (denk aan Jean-Marie Dedecker of Laurent Louis
van de PP) en de regering heeft een absolute meerderheid”.
Selon Maddens, le choix de cette stratégie (son “plan
B”) aura pour effet de susciter à un sentiment croissant de minorisation des francophones
au sein de la Belgique fédérale. Et de provoquer à terme le développement en
Wallonie de fortes velléités d’autonomie et du confédéralisme.
Pour accéder à la tribune dans son intégralité :
Le MR avait-il (re)lu ce texte avant de prendre la
décision de mettre en œuvre le « plan B » de Maddens visant à
conduire la Belgique au confédéralisme ? Probablement pas.
A-t-il fait plutôt de la prose sans le savoir, comme
le Bourgeois gentilhomme de Molière ?
Il est pour le moins amusant de constater que les
défenseurs de la démarche du MR voient aujourd’hui, au contraire, dans la
formation d’un attelage gouvernemental si déséquilibré, le signe d’une « maturité
fédérale » retrouvée.
Sans pourtant jamais avoir plaidé en faveur d’une
telle démarche avant le 25 mai 2014.
Alors rendons au moins à César ce qui est à César, et
à Maddens ce qui est à Maddens : le brevet de paternité de la « kamikaze »
lui revient, sa tribune datant d’il y a plus de trois ans et demi.
Loin d’un certain air du temps, et de la tentation de
construire un argumentaire de justification à posteriori.
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