En quelques
semaines seulement, un nombre impressionnant des canons habituels de la vie
politique belge a volé en éclats de manière totalement inattendue: rupture de
la famille sociale-chrétienne, participation de la N-VA au gouvernement
fédéral, compositions asymétriques des gouvernements fédéral et francophone,
présence d’un seul parti francophone dans le futur gouvernement fédéral,
représentation ultra-minoritaire des Wallons et Bruxellois etc.
Interrogé à
l’entame des négociations, le 18 août dernier, sur les risques suscités par ces
ruptures inédites, Didier Reynders se fendait d’une mâle déclaration: "Le
MR est en position de force à la table des négociations" 1. Deux
semaines plus tard, le Ministre des affaires étrangères voyait pourtant le
commissariat européen promis lui échapper.
« En position de force » ?
C’est qu’en
réalité, le MR n’est pas en position de force, bien au contraire. Des quatre
acteurs autour de la table, il est le seul contraint de justifier devant
l’électeur le parjure de l’engagement phare de sa campagne: "si on a la
main, jamais avec la N-VA".
Il a été le
seul des quatre partis contraint de franchir le Rubicon, en acceptant de
participer comme seul parti francophone à une formule de coalition aussi
inédite que déséquilibrée sur le plan linguistique.
Il est par
conséquent le seul des quatre partis à en supporter les risques majeurs. Le
seul contraint d’investir toutes ses billes dans la démarche. Le dernier donc,
en principe, à pouvoir quitter l’entreprise avant son dénouement, au risque de
perdre toute sa mise.
Difficulté
supplémentaire, pour "gérer" ces risques, le MR est associé à des
partenaires de gouvernement offrant tout sauf des gages de stabilité. La N-VA
rappelle à tout va (Peumans, Bourgeois, Defoort) que son objectif n’a pas
varié: "Le confédéralisme s’imposera en cours de route".
Personne ne pense sérieusement qu’elle voudra démontrer que la Belgique peut être gouvernée à droite de manière efficace à partir du niveau fédéral, faisant sienne l’adage qu’on "ne change pas une équipe qui gagne", et qu’elle rangera son nationalisme au placard lors de prochaines échéances.
Personne ne pense sérieusement qu’elle voudra démontrer que la Belgique peut être gouvernée à droite de manière efficace à partir du niveau fédéral, faisant sienne l’adage qu’on "ne change pas une équipe qui gagne", et qu’elle rangera son nationalisme au placard lors de prochaines échéances.
Le VLD sera
en concurrence féroce avec la N-VA pour emporter le titre de "meilleur et
seul vrai parti flamand de droite" au sein de la coalition. Il reste aussi
le parti qui a provoqué la pagaille en 2010, levier de la chute du gouvernement
Leterme, de la victoire de la N-VA et de la crise de 541 jours.
Reste le CD
& V, a priori "le" loyal et stable partenaire du MR. Mais pour le
CD & V, le MR reste avant tout une simple variable d’ajustement, comme
l’ont durement éprouvé les dirigeants libéraux. Le CD & V fit ainsi le
choix de s’allier partout avec la N-VA, alors que selon les déclarations de ses
dirigeants, le MR préconisait la reconduction de la "tripartite",
sortie renforcée par le scrutin, singulièrement en Flandre. L’épisode de la
désignation du commissaire européen a plus avant égratigné la solidité du
prétendu "axe" CD & V-MR. Une nouvelle fois déstabilisé, le MR et
son chef de file se sont vus imposer un remodelage des termes du contrat.
Ceux qui
prétendent que la parité linguistique et la règle du consensus au sein du
Conseil des Ministres offrent au MR une position forte, en lui permettant de
"faire de chaque question une question de gouvernement", confondent
science juridique et science politique.
À vrai dire,
c’est exactement l’inverse: c’est des risques politiques majeurs pris par le MR
virage à 180° par rapport à l’engagement de former un gouvernement sans la
N-VA, architecte de la coalition la moins francophone de l’histoire de
Belgique, présence dans le seul gouvernement fédéral etc. que découle sa
situation d’extrême faiblesse au sein de la coalition "kamikaze". Et
c’est précisément cette posture d’extrême faiblesse politique qui rend quasi
inopérants les mécanismes juridiques évoqués, notamment ce que l’on a
improprement qualifié de "droit de veto".
Survie du gouvernement
La raison en
est facile à comprendre: si le MR devait provoquer la chute du gouvernement, il
ferait la démonstration de l’échec de sa propre stratégie. Toute la rhétorique
mobilisée pour justifier son reniement et accepter de monter dans un
gouvernement si déséquilibré s’effondrerait.
Le MR est
donc bien le dernier des quatre partis qui excipera sans trop de risque son
"droit de veto" en vue de "faire de chaque question une question
de gouvernement", car toute menace sur la survie du gouvernement lui sera
hautement préjudiciable.
Aussi, à la
fois seul parti du gouvernement et seul parti francophone à en supporter les
"vices" originels, est-il condamné à la réussite de l’entreprise: c’est
bien un "voyage sans retour".
Par
ailleurs, à chaque question gouvernementale pourvue d’une dimension
"communautaire", les libéraux auront la tentation de l’occulter.
Ce paramètre
influera sur la dynamique de négociation permanente qui est le lot des gouvernements
de coalition. Cette donne est parfaitement intégrée par les trois partis
flamands de la coalition.
Cet
engrenage infernal place le MR dans une situation assimilable à celle du
"joueur" qui estime avoir déjà trop misé pour s’extraire de la table
et limiter les pertes.
Quitter la
table de jeux avant la fin de la partie reviendrait, pense-t-il, à perdre
définitivement sa très grosse mise de départ.
Alors comme
nombre de joueurs invétérés, il reste accroché à cet espoir, qu’à force de
doubler chaque fois les mises et de croire en son étoile, le jeu tournera…
(1) JT RTL-TVI 18 août 2014,
www.lecho.be/reynders