mardi 2 juin 2015

Age de la pension : la démocratie en retraite anticipée ?


Publié dans L'Echo le 2 juin 2015

Le recul de l’âge légal de la pension à 67 ans constitue l’une des mesures phares du gouvernement fédéral. Le contexte dans lequel elle a été arrêtée et l’essence des débats qui l’entourent sont un cas d’école pour s’interroger sur la conception de la démocratie représentative et sur l’impact des modes de pensée dominants à son égard.
Lors des élections de mai 2014, les différents partis se sont positionnés très explicitement dans leurs programmes électoraux sur l’âge légal de la pension, considérant manifestement qu’il s’agissait là d’un enjeu essentiel. Ce fut aussi le cas des quatre partis de la future coalition fédérale:
– MR : « sans relever l’âge légal de la pension [en gras souligné dans le texte original], il est possible d’améliorer le taux d’activité des travailleurs âgés. »  
– N-VA : « De pensioenleeftijd blijft op 65 jaar »
– CD&V : « We behouden de wettelijke pensioenleeftijd van 65 jaar »
– Open VLD : « De wettelijke pensioenleeftijd blijft op 65 jaar »

Un mois avant le scrutin, le futur Premier Ministre déclarait : « Pour le MR, il n’est pas question de toucher à l’âge légal de la retraite à 65 ans. ». Bart De Wever, Président du principal parti du gouvernement, qualifia même tout recul de l’âge légal de la pension d’« absurde » (« zinloos ») lors du débat avec Paul Magnette organisé par L’Echo et De Tijd.
Le jour des élections, il apparaissait ainsi que 98,6% des Belges (tous sauf les électeurs du FDF) avaient opté pour un parti hostile au recul de l’âge légal de la pension. De ce remarquable consensus émergea un accord de gouvernement contenant précisément… l’inverse.


Présentation des programmes, débat démocratique visant à éclairer le choix des citoyens, arbitrage électoral : la séquence est connue en démocratie. Bien sûr, il est exceptionnel qu’un parti rassemble à lui seul une majorité. Une négociation est alors nécessaire en vue de former une coalition et d’élaborer un accord de gouvernement. Cette négociation implique toujours des concessions mutuelles entre les formations politiques impliquées. En l’espèce, nulle concession n’était donc à réaliser, puisque tous les partis étaient officiellement sur la même longueur d’ondes.
Jugée aujourd’hui par une très large majorité d’experts, éditorialistes et acteurs politiques comme inévitable, cette mesure n’avait pourtant été préconisée par (presque) personne et pour ainsi dire pas débattue avant le scrutin. Cette « surprise » aurait dès lors dû susciter de l’indignation. A défaut, un large débat sur son caractère légitime. Sinon… à quoi servent encore les élections ? Ou comment alors s’étonner de la perte de confiance des citoyens à l’égard de la démocratie parlementaire?
Pourtant, rien ou presque. Silence radio. Absente du débat quelques semaines auparavant, dépourvue de tout promoteur, cette mesure s’impose car allant de soi : « c’est le standard européen », « les experts sont pour », « il n’y a pas d’alternative ».
Une réforme si « inéluctable », qui avait « échappé » à la sagacité de tant d’acteurs jusqu’à la présentation de l’accord de gouvernement, ne manque pas d’impressionner.


Pour tenter de justifier ce revirement, le Ministre des Pensions et le Premier Ministre répètent à l’envi qu’est intervenu un élément nouveau : la publication du rapport de la Commission nationale des pensions, le 16 juin 2014. Un « d’électrochoc » aux yeux de Charles Michel. Cette réponse est doublement interpellante.
D’abord, elle est… fausse. Le recul de l’âge légal de la retraite ne figurait pas dans les recommandations de la Commission, comme ses principaux auteurs n’ont pas manqué de le rappeler. Et surtout, leur rapport n’apporte aucune nouvelle information relative à l’évolution du coût des pensions. Qui plus est, sa publication n’avait pas empêché le futur Ministre des Pensions de répéter 4 mois plus tard sur le plateau de Mise au Point : « Nous ne proposons pas de toucher à l’âge légal de la pension. » 
Ensuite, cette réponse interroge le fonctionnement de la démocratie parlementaire. La volonté du peuple serait souveraine… sauf si un comité d’experts recommandait une mesure allant à contre-sens?
Cette justification est d’autant plus délicieuse que l’exécutif n’hésite pas dans le même temps à se prévaloir fièrement de la suprématie de la « légitimité des urnes » pour minorer le rôle de la concertation sociale, et s’écarter le cas échéant de ses résultats.


Il y a quelques jours, après avoir rappelé l’opposition de son parti au recul de l’âge légal de la pension, le Président du PS répondait positivement à la question de savoir si sa formation souhaiterait revenir sur cette mesure en cas de participation au pouvoir.
En d’autres termes, le président du principal parti d’opposition s’engageait à chercher à… appliquer son programme.
Cette déclaration a suscité bien davantage de cris d’orfraie de la plupart des commentateurs que le revirement des partis du gouvernement sur leur promesse de campagne :  
« Image désastreuse que cela donnerait de la gestion publique », « gouvernement girouette que personne n’aime », « un revirement dans ce domaine est-il praticable, réaliste? », « démagogie, à gauche toute », « gare à l'électeur, pas manipulable à l'infini  », « stupide, ils n’osent pas dire la vérité aux gens » « pas d’alternative », « populisme indigne d’un ancien Premier Ministre, mauvais pour l’image des francophones (sic) ».
Il ne serait donc pas indigne de s’engager à maintenir la pension à 65 ans avant les élections ; pas davantage de tourner casaque quelques semaines après le scrutin ; mais il est indigne de récuser ce revirement pour s’en tenir à ses engagement préélectoraux. A fortiori si l’on est francophone. Dont acte.


Que révèle cette dichotomie des réactions sur la nature du débat démocratique et la mission fondamentale des médias dans son animation? Faut-il comprendre que certaines orientations politiques revêtent une légitimité intrinsèque qui prévaut sur les engagements contraires pris devant le corps électoral ? La simple promotion d’orientations contraires dans le champ politique est-elle devenue par essence illégitime?
La logique démocratique n’est-elle pas totalement inversée lorsqu’il est tabou de soumettre aux citoyens une orientation donnée, mais non d’opérer un revirement au lendemain du scrutin ? En démocratie, n’est-ce pas l’électeur qui décide ultimement de la légitimité et du choix des orientations en débat ?
S’il n’y a pas d’alternative à une certaine politique, car décrétée « inévitable », à quoi sert la démocratie? Y a-t-il un sens de l’histoire qui s’impose aux peuples ? 
Qui détermine si passer à 67 ans est un retour en arrière par rapport à une réforme précédente, ou si c’est revenir à 65 ans qui constitue l’attitude réactionnaire ?
Qui en démocratie détermine le sens de l’histoire, si ce n’est les citoyens, comme le 25 mai dernier au sujet de l’âge légal de la pension ?




 

 

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