vendredi 19 juin 2015

« Sur la N-VA, je me suis trompé » : pourquoi Michel raconte encore des carabistouilles.


Le 20 mai, Charles Michel déclarait sur la RTBF :
« Sur la N-VA, je me suis trompé. Je me suis trompé avant les élections et j'ai fait une erreur d'appréciation, comme à peu près tous les observateurs francophones, qui étaient convaincus qu'il ne serait pas possible pour la N-VA, après les élections, de renoncer à 100 % de son programme institutionnel et communautaire pour les cinq prochaines années. »

Le lendemain, dans « L’Echo », il précisait :
« Le MR a donc dû prendre ses responsabilités et cela a coïncidé avec un autre élément inattendu : le fait que la N-VA a décidé de mettre les questions communautaires au frigo, à condition d’avoir des réformes socio-économiques. »

Un an après les élections, le Premier Ministre cherchait vraisemblablement la « bonne phrase » pour éteindre l’accusation de parjure, qui le poursuit depuis ses propos de campagne à l’égard de la N-VA. Le 29 avril 2014, alors président du MR, il avait en effet précisément indiqué ceci :
« Notre démarche est une démarche de clarté et de franchise. Il faut que les gens puissent voter en connaissance de cause (sic). Et, pour ça, il faut dire ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. D'où notre message, très clair: «quand nous avons l'initiative, et si nous l'avons, ce sera sans la N-VA.» Je ne dis rien de neuf, j'ai toujours dit et répété que je ne croyais pas au projet de la N-VA, ni sur le plan socio-économique [Je souligne], ni pour l'avenir du pays. »

Didier Reynders ne fut pas en reste le même jour :
« Très clairement: nous, c'est sans la N-VA. ».

Pour enfoncer le clou, le propos de Charles Michel se fit même encore plus dur :
« Oui, je le dis et le redis, la N-VA est un parti à la frontière du racisme et de la discrimination. C'est un projet de mépris et d'extrémisme. » (21 mai, L'Echo)

Pourtant, l’exercice de communication du 20 mai fut réussi pour ses habituels aficionados. Ils y ont vu un homme « convaincant », de « l’honnêteté » (sic), une « erreur assumée » ou encore un « constat que tous les partis francophones peuvent partager », dans un élan habituel de wishfull thinking.

Au-delà des pétitions de principe, que penser de sa déclaration ? Explication convaincante empreinte d’humilité ou énième récidive après la pension à 67 ans, le saut d’index, etc. ? En vérité, toute la question est de savoir si Charles Michel s’est trompé lui-même, comme il le prétend, ou s’il a trompé, une nouvelle fois, celles et ceux qui avaient bien voulu le croire. Débroussaillons.
1. En quoi consistaient précisément les engagements pris par le MR à l’égard de la N-VA lors de la campagne électorale ?
Le refus de former une coalition avec la formation nationaliste flamande était-il conditionné au volet institutionnel de son programme ? Absolument pas. Chacun a pu l’observer quelques lignes plus haut. Cet engagement était bien inconditionnel, y compris donc en raison du projet socio-économique de la N-VA, et de ses valeurs « à la frontière du racisme », dessinant un projet d’extrémisme. Il fallait que « les gens puissent voter en connaissance de cause » (sic). Au demeurant dans le débat organisé par Le Soir et De Standaard, Charles Michel avait durement raillé le manque de sérieux et de crédibilité du programme… socio-économique de la N-VA.

2. Est-il crédible que Michel ait pu avoir à l’époque la conviction absolue que la N-VA ne mettrait jamais de côté son programme institutionnel pour entrer dans un gouvernement ?

La réponse est une deuxième fois très claire : non. Au soir des élections communales d’octobre 2012, le président de la N-VA appelait publiquement les présidents de partis francophones à démarrer immédiatement des négociations pour préparer le confédéralisme. La position de la N-VA évoluera à partir de septembre 2013.
La N-VA a constaté son isolement parmi les partis flamands quant à sa revendication d’une nouvelle réforme de l’Etat au lendemain du scrutin fédéral de 2014. Désireuse de résoudre la contradiction entre vouloir mettre fin à un « gouvernement francophone taxateur socialiste » et vouloir négocier une réforme de l’Etat qui impliquerait quasi automatiquement les socialistes en raison des majorités requises, la N-VA a amorcé un virage vers la nécessité première de former un gouvernement socio-économique. Nul doute qu’elle fut poussée dans le dos par le patronat flamand. « VOKA is mijn baas » déclarait De Wever en juillet 2011. Siegfried Bracke fut le premier à sortir du bois le 31 août 2013 dans De Standaard :

« Même sans accord sur le confédéralisme, nous entrerons dans un gouvernement fédéral. L’agenda socio-économique est beaucoup trop urgent. »

Bart De Wever confirme le 2 novembre 2013 ce virage dans Het Nieuwsblad:
« Nous ne laisserons passer la chance d'un gouvernement de relance socio-économique. On ne peut lier notre confédéralisme à la formation du gouvernement »,

« Y compris si vous devez pour cela laisser tomber la réforme de l’Etat » insiste le journaliste.
« Je ne peux quand même pas être plus clair? Nous n’allons laisser passer aucune chance d’installer un gouvernement de relance socio-économique » assène De Wever.

Le 22 novembre, Bart De Wever renchérit dans le même journal :
« Dans les années 80, ce pays a été assaini drastiquement sans le PS. Nous devons répéter cela. »

Et quelques jours avant le fameux « engagement » de Charles Michel, Bart De Wever rappelle dans Knack le même message limpide :

« Qu’il n’y ait aucun doute : si une telle majorité (NDLR : pour mettre en place un gouvernement socio-économique) est à portée de main pour former un gouvernement fédéral, la N-VA s’y joindra immédiatement. Immédiatement ! Si le MR et le Cdh ont le courage politique de gouverner sans le PS, nous y entrons immédiatement ».

La N-VA multipliera les déclarations de ce type sur près de neuf mois, exprimant de manière toujours plus univoque sa volonté de former en priorité un gouvernement socio-économique sans les socialistes, quitte à devoir laisser tomber le volet institutionnel de son programme.

Certes, tout un chacun peut ne pas prendre les considérations stratégiques des différents partis pour argent comptant. A fortiori s’agissant de la N-VA. De là à pouvoir en tirer la conviction absolue que la N-VA ne lâcherait jamais son programme institutionnel pour entrer dans un gouvernement, et à mettre un véto à toute coalition avec elle-même pour former un exécutif purement socio-économique, il y a plus qu’un pas ! D’autant que, chacun s’en rappellera, la campagne fut essentiellement agencée à des questions socio-économiques : réforme fiscale, indexation des revenus…. Les socialistes n’ont d’ailleurs pas manqué de pointer les convergences programmatiques entre les partis de droite, et le risque (à leurs yeux) d’un « gouvernement des droites » – le PS allant jusqu’à sortir un tract intitulé et prémonitoire : « Ce que fera un gouvernement des droites MR N-VA sans le PS ». Convergences annonciatrices d’un retour aux années « Martens-Gol » et à sa politique, au point de causer l’un des « incidents de campagne » lors du débat entre Didier Reynders et Elio Di Rupo.

Le vrai débat au cœur de la campagne était donc bien de savoir si la proximité idéologique constatée entre la N-VA et les partis libéraux se traduirait ou non en une coalition de droite au lendemain du scrutin.

Par conséquent, le véto de Charles Michel à l’égard de la N-VA ne pouvait évidemment se comprendre et recéler un sens politique particulier qu’en tant que véto du MR à toute participation gouvernementale avec la N-VA, en ce compris et surtout dans l’hypothèse d’un gouvernement au programme socio-économique, en dehors de toutes perspectives de réformes institutionnelles.

L’explication du Premier Ministre avancée le 20 mai 2015 ne résiste donc pas à un examen sérieux des faits.

Comment comprendre alors le véto absolu adressé par Charles Michel à l’encontre de la N-VA avant le scrutin, un veto unique d’ailleurs ? Il faut en chercher les raisons du côté de… Didier Reynders.

Alors que les ténors de la N-VA multipliaient les déclarations en faveur d’un gouvernement socio-économique sans le PS, voire carrément des appels du pied sans équivoque en direction du MR (« Cela m’aiderait beaucoup que vous encouragiez à voter MR. » déclare De Wever au Cercle de Lorraine le 6 mars 2013), Didier Reynders répondait en écho sa disponibilité à former une coalition de droite avec la N-VA, à condition de mettre de côté la perspective d’une nouvelle réforme de l’état. Dans son livre – Didier Reynders sans tabou, décembre 2013 – le propos est clair :

  • « Au Parlement, on voit bien que, sur une série de thèmes, N-VA, CD&V, MR et Open VLD se retrouvent sans trop de problèmes. Après, avec la N-VA, la même question revient toujours : malgré son programme communautaire indépendantiste, est-elle prête à participer à la gestion de la Belgique ? »
    « Ce sera à l’électeur flamand de déterminer si la N-VA doit participer à un gouvernement fédéral. »

Il ne l’est pas moins dans ses interviews :

  • « Bart De Wever est un bourgmestre d’Anvers acceptable, pourquoi ne serait-il pas un Premier ministre acceptable ? » (Het Belang van Limburg, 25 janvier 2014) ;
  •  « Il faudra donc accepter la N-VA en 2014. Chacun fait ses choix. Je souhaiterais qu'en 2014, on ait des majorités miroir entre les régions et le fédéral. Ce sont les partis flamands qui nous diront si la N-VA sera à la table. S'ils travaillent partout avec la N-VA, ils viendront peut-être aussi au fédéral avec la N-VA. » (La Libre Belgique, décembre 2013) 
     
    Cet engagement de ne pas gouverner avec la N-VA, Michel l’a donc pris non pas parce qu’il était convaincu que la N-VA ne voudrait jamais former un nouveau gouvernement sans négocier préalablement une réforme de l’Etat, mais précisément parce que l’hypothèse inverse, à savoir un gouvernement socio-économique l’associant avec la N-VA, devenait chaque jour plus crédible aux yeux des observateurs sur base des déclarations et programmes des uns et des autres. Et… cela devenait un handicap électoral. L’actuel Premier ministre n’a donc pas fait une « erreur d’appréciation ».  
    _________________________

    Déjà isolée sur l’échiquier politique quant à son agenda institutionnel, les résultats du 25 mai allaient révéler que la N-VA, malgré son succès, n’était incontournable ni pour former un gouvernement fédéral, ni surtout pour former un gouvernement flamand. Les trois partis flamands de la coalition sortante, de même que les écologistes, sortaient renforcés collectivement des urnes, au point de disposer d’une majorité simple dans leur groupe linguistique.
    La possibilité pour ces trois partis de former une majorité au sein du parlement flamand sans la N-VA a privé Bart de Wever de tout « levier » lui permettant d’imposer son agenda institutionnel comme condition préalable à une participation au gouvernement flamand.
    C’est la raison pour laquelle, désigné informateur, il tenta de réunir une coalition associant N-VA, MR, CD&V et CdH, au nombre de sièges insuffisant pour mettre en œuvre un programme institutionnel, et déposa une note qui excluait toute réforme de l’Etat au programme du gouvernement souhaité.
    Le couplet selon lequel le MR a « obtenu » que la N-VA mette de côté son programme institutionnel ne résiste donc pas à un examen, fut-il sommaire, des faits. Ce sont les résultats électoraux et le positionnement, passablement connu, des autres partis flamands qui ont rendu cette revendication de la N-VA sans objet.
    Pourtant, l’absence de réformes institutionnelles explicites à l’agenda du gouvernement ne veut pas dire absence de communautaire. Comme l’énoncera le Premier Ministre dans un moment de sincérité :
    « Bien entendu, il y aura des questions communautaires ; derrière chaque dossier, il y a potentiellement des enjeux communautaires. »
    L’homme ne raconte pas toujours que des carabistouilles.

mardi 2 juin 2015

Age de la pension : la démocratie en retraite anticipée ?


Publié dans L'Echo le 2 juin 2015

Le recul de l’âge légal de la pension à 67 ans constitue l’une des mesures phares du gouvernement fédéral. Le contexte dans lequel elle a été arrêtée et l’essence des débats qui l’entourent sont un cas d’école pour s’interroger sur la conception de la démocratie représentative et sur l’impact des modes de pensée dominants à son égard.
Lors des élections de mai 2014, les différents partis se sont positionnés très explicitement dans leurs programmes électoraux sur l’âge légal de la pension, considérant manifestement qu’il s’agissait là d’un enjeu essentiel. Ce fut aussi le cas des quatre partis de la future coalition fédérale:
– MR : « sans relever l’âge légal de la pension [en gras souligné dans le texte original], il est possible d’améliorer le taux d’activité des travailleurs âgés. »  
– N-VA : « De pensioenleeftijd blijft op 65 jaar »
– CD&V : « We behouden de wettelijke pensioenleeftijd van 65 jaar »
– Open VLD : « De wettelijke pensioenleeftijd blijft op 65 jaar »

Un mois avant le scrutin, le futur Premier Ministre déclarait : « Pour le MR, il n’est pas question de toucher à l’âge légal de la retraite à 65 ans. ». Bart De Wever, Président du principal parti du gouvernement, qualifia même tout recul de l’âge légal de la pension d’« absurde » (« zinloos ») lors du débat avec Paul Magnette organisé par L’Echo et De Tijd.
Le jour des élections, il apparaissait ainsi que 98,6% des Belges (tous sauf les électeurs du FDF) avaient opté pour un parti hostile au recul de l’âge légal de la pension. De ce remarquable consensus émergea un accord de gouvernement contenant précisément… l’inverse.


Présentation des programmes, débat démocratique visant à éclairer le choix des citoyens, arbitrage électoral : la séquence est connue en démocratie. Bien sûr, il est exceptionnel qu’un parti rassemble à lui seul une majorité. Une négociation est alors nécessaire en vue de former une coalition et d’élaborer un accord de gouvernement. Cette négociation implique toujours des concessions mutuelles entre les formations politiques impliquées. En l’espèce, nulle concession n’était donc à réaliser, puisque tous les partis étaient officiellement sur la même longueur d’ondes.
Jugée aujourd’hui par une très large majorité d’experts, éditorialistes et acteurs politiques comme inévitable, cette mesure n’avait pourtant été préconisée par (presque) personne et pour ainsi dire pas débattue avant le scrutin. Cette « surprise » aurait dès lors dû susciter de l’indignation. A défaut, un large débat sur son caractère légitime. Sinon… à quoi servent encore les élections ? Ou comment alors s’étonner de la perte de confiance des citoyens à l’égard de la démocratie parlementaire?
Pourtant, rien ou presque. Silence radio. Absente du débat quelques semaines auparavant, dépourvue de tout promoteur, cette mesure s’impose car allant de soi : « c’est le standard européen », « les experts sont pour », « il n’y a pas d’alternative ».
Une réforme si « inéluctable », qui avait « échappé » à la sagacité de tant d’acteurs jusqu’à la présentation de l’accord de gouvernement, ne manque pas d’impressionner.


Pour tenter de justifier ce revirement, le Ministre des Pensions et le Premier Ministre répètent à l’envi qu’est intervenu un élément nouveau : la publication du rapport de la Commission nationale des pensions, le 16 juin 2014. Un « d’électrochoc » aux yeux de Charles Michel. Cette réponse est doublement interpellante.
D’abord, elle est… fausse. Le recul de l’âge légal de la retraite ne figurait pas dans les recommandations de la Commission, comme ses principaux auteurs n’ont pas manqué de le rappeler. Et surtout, leur rapport n’apporte aucune nouvelle information relative à l’évolution du coût des pensions. Qui plus est, sa publication n’avait pas empêché le futur Ministre des Pensions de répéter 4 mois plus tard sur le plateau de Mise au Point : « Nous ne proposons pas de toucher à l’âge légal de la pension. » 
Ensuite, cette réponse interroge le fonctionnement de la démocratie parlementaire. La volonté du peuple serait souveraine… sauf si un comité d’experts recommandait une mesure allant à contre-sens?
Cette justification est d’autant plus délicieuse que l’exécutif n’hésite pas dans le même temps à se prévaloir fièrement de la suprématie de la « légitimité des urnes » pour minorer le rôle de la concertation sociale, et s’écarter le cas échéant de ses résultats.


Il y a quelques jours, après avoir rappelé l’opposition de son parti au recul de l’âge légal de la pension, le Président du PS répondait positivement à la question de savoir si sa formation souhaiterait revenir sur cette mesure en cas de participation au pouvoir.
En d’autres termes, le président du principal parti d’opposition s’engageait à chercher à… appliquer son programme.
Cette déclaration a suscité bien davantage de cris d’orfraie de la plupart des commentateurs que le revirement des partis du gouvernement sur leur promesse de campagne :  
« Image désastreuse que cela donnerait de la gestion publique », « gouvernement girouette que personne n’aime », « un revirement dans ce domaine est-il praticable, réaliste? », « démagogie, à gauche toute », « gare à l'électeur, pas manipulable à l'infini  », « stupide, ils n’osent pas dire la vérité aux gens » « pas d’alternative », « populisme indigne d’un ancien Premier Ministre, mauvais pour l’image des francophones (sic) ».
Il ne serait donc pas indigne de s’engager à maintenir la pension à 65 ans avant les élections ; pas davantage de tourner casaque quelques semaines après le scrutin ; mais il est indigne de récuser ce revirement pour s’en tenir à ses engagement préélectoraux. A fortiori si l’on est francophone. Dont acte.


Que révèle cette dichotomie des réactions sur la nature du débat démocratique et la mission fondamentale des médias dans son animation? Faut-il comprendre que certaines orientations politiques revêtent une légitimité intrinsèque qui prévaut sur les engagements contraires pris devant le corps électoral ? La simple promotion d’orientations contraires dans le champ politique est-elle devenue par essence illégitime?
La logique démocratique n’est-elle pas totalement inversée lorsqu’il est tabou de soumettre aux citoyens une orientation donnée, mais non d’opérer un revirement au lendemain du scrutin ? En démocratie, n’est-ce pas l’électeur qui décide ultimement de la légitimité et du choix des orientations en débat ?
S’il n’y a pas d’alternative à une certaine politique, car décrétée « inévitable », à quoi sert la démocratie? Y a-t-il un sens de l’histoire qui s’impose aux peuples ? 
Qui détermine si passer à 67 ans est un retour en arrière par rapport à une réforme précédente, ou si c’est revenir à 65 ans qui constitue l’attitude réactionnaire ?
Qui en démocratie détermine le sens de l’histoire, si ce n’est les citoyens, comme le 25 mai dernier au sujet de l’âge légal de la pension ?




 

 

jeudi 2 avril 2015

Pour Piketty, mieux vaut hériter que mériter aujourd’hui. En politique aussi ?


Publié dans L'Echo le 2 avril 2015

L’année 2014 aura été incontestablement celle de l’économiste Thomas Piketty et de son ouvrage « Le Capital au 21ème siècle ». L’économiste y démontre de manière éclatante une tendance historique à la concentration toujours plus grande du capital dans les mains de quelques-uns, et par conséquent l’impact massif de l’héritage dans la répartition des richesses. « L’héritage n’est pas loin de retrouver en ce début du XXIe siècle l’importance qu’il avait à l’époque du Père Goriot», épingle Piketty.

A ses yeux, cette observation amène à poser l’enjeu de la « soutenabilité » de nos sociétés : « combien de temps les mythes de la répartition et de la possibilité d’ascension méritocratique résisteront-ils aux faits ? ». Piketty conclut sa démonstration avec malice, en rappelant le conseil de Vautrin dans le Père Goriot : « Pour faire fortune, il faut se contenter d’épouser une héritière ».

En 2015, année préélectorale aux Etats-Unis, Hillary Clinton et Jeb Bush figureront très certainement en haut de l’affiche. Tous deux font office de favoris de leur camp politique respectif dans la course à la Maison Blanche. En cas d’élection de l’un d’eux, et vu que la réélection d’un président en exercice est quasi devenue la règle, la « fonction suprême » sera restée aux mains de deux « familles » pendant 28 ans[1], le mandat de Barack Obama, durement conquis lors des primaires démocrates de 2007-2008, faisant office d’intermède.

Le retour du rôle massif de l’héritage dans la répartition du capital se vérifierait il aussi en ce qui concerne le capital « politique » ? Chaque observateur peut en tous cas constater la permanence de nombreux patronymes au sein de notre classe politique.

Durant la législature passée, parmi les huit présidents de parti[2] qui ont conclu la 6ème réforme de l’Etat, six d’entre eux disposaient de parents actifs en politique, le plus souvent au premier plan. Bien sûr, entre la désignation comme ministre à 24 ans par un parti dirigé de fait par son propre père, l’occupation du même fauteuil présidentiel à plusieurs années d’intervalle, ou encore l’accès au mayorat d’une commune dirigée dans le passé par un grand-parent appartenant à autre parti, la dynamique à l’œuvre dans leurs trajectoires respectives n’est pas nécessairement toujours similaire.

A l’instar de la concentration toujours plus grande du capital au fil des générations, un tel phénomène « d’accaparement » des fonctions politiques ne constituerait-il pas un retour en arrière, à l’époque où quelques familles se transmettaient l’essentiel du pouvoir de manière dynastique, puis par le biais du suffrage censitaire ?

Ne met-il pas progressivement en danger la vitalité de notre système démocratique, en donnant (au moins) l’apparence d’un système oligarchique, d’une « caste » politique toujours plus étanche, dont la formation est dominée par le principe de reproduction et d’endogamie?

Ce phénomène contribuerait-il à expliquer pour partie la distance qui semble se creuser entre gouvernés et gouvernants ou encore le discrédit croissant dont souffrent, souvent injustement, les partis politiques, acteurs majeurs de la démocratie?

Certes, le pouvoir politique ne se transmet plus, sur un plan formel, de manière « patrimoniale ». Mais n’est-ce pas là de plus en plus une fiction, à l’instar du mythe néolibéral de l’ascension méritocratique mobilisé pour justifier des écarts de richesse croissants ?

Les mécanismes de reproduction du capital « politique » à l’œuvre sont connus et régulièrement observables : bénéfice de places éligibles sur les listes électorales pour mettre un premier pied à l’étrier, listes confectionnées en général par un comité composé de parents directs, mise à disposition du réseau et des ressources « familiales » dans le cadre des campagnes, de l’activité politique ou dans le fonctionnement des structures du parti, attention médiatique accrue, patronyme identifiable et doté d’une valeur de « marque » auprès de l’électorat « familial » précédemment fidélisé …

Bien entendu, il ne s’agit pas de remettre en cause les qualités propres ni le droit de chacun à faire de la politique, qu’il ait ou non des parents actifs en la matière – hériter ne fait pas d’un individu un « imméritant » par nature – mais, comme dans d’autres domaines, d’interroger les mécanismes et dynamiques générateurs d’inégalités.

Le rôle de l’héritage politique est naturellement à l’œuvre dans la plupart, si pas l’ensemble, des partis confrontés à l’exercice du pouvoir sur plusieurs générations. Même dans des formations peu ou pas confrontées à cet exercice, comme le PTB, le noyau dur des cadres est composé pour une part importante « d’héritiers », bercés par le militantisme de leurs parents et rompus aux codes dès leur plus jeune âge.

Cette problématique concerne donc l’ensemble du spectre politique. Mais elle revêt un enjeu particulier pour l’identité de la gauche.

La gauche porte dans ses gènes le combat pour l’égalité. Sa vocation historique et toujours actuelle est de lutter contre la confiscation des richesses, des chances et des pouvoirs au seul profit de quelques-uns. Contre l’entre soi des élites, contre le pouvoir démesuré de la rente et de l’héritage dans nos sociétés, contre le déterminisme et le mythe idéologique du caractère « naturel » de la majeure partie des inégalités. Elle porte aussi dans son ADN la promotion et la défense de la démocratie parlementaire, malmenée depuis toujours et en particulier en temps de crise.

La gauche ne peut donc se permettre de négliger une telle problématique, ne fût-ce que parce qu’elle est de nature à miner sa crédibilité à incarner aux yeux des citoyens ces nobles et si importants combats.

La tentation du procès en « jalousie » ne peut constituer un argument recevable dans le champ idéologique de la gauche pour clore un tel débat. Cela reviendrait endosser l’une des techniques habituelles de la droite pour fuir tout débat sérieux sur la répartition équitable des richesses et une fiscalité plus juste, comme l’a illustré encore récemment la présidente de l’Open VLD[3].

De la même façon, s’en remettre à la bonne volonté des acteurs individuels ne peut constituer davantage une réponse suffisante, dès lors que l’on pourfend sur le plan des principes, et à juste titre, le mythe de « l’autorégulation » efficace.

A n’y prendre garde, pour accéder à la fonction politique, ne restera peut-être qu’à suivre le conseil de Balzac : « se contenter d’épouser un héritage ».

 


[1] George H. Bush (1989-1993), William J. Clinton (1993-2001), George W. Bush (2001-2009), et le cas échéant Hillary Clinton/John E. Bush (2017-2025)
[2] Elio Di Rupo, Wouter Beke, Charles Michel, Bruno Tobback, Alexander De Croo, Benoît Lutgen, Jean-Michel Javaux, Wouter Van Besien.
[3] Ik ga de fiscaliteit niet veranderen omdat er afgunst heerst”, in De Morgen, 10 janvier 2015.

jeudi 26 mars 2015

Le suffrage universel, la grève et le PTB : une histoire de salle et de cuisine.


A l’occasion d’un colloque sur le droit de grève ce 20 mars, le président du PTB Peter Mertens fit une déclaration rapidement relayée sur Twitter par l’un de ses collaborateurs :

« Sans le droit de grève, les riches auraient toujours trois voix et les salariés aucune ».

Cette phrase est dans une large mesure historiquement exacte[1].

 

Le Parti ouvrier belge, qui deviendra le Parti socialiste belge après la seconde guerre mondiale, décréta en 1893 la première grève générale de notre pays en vue de conquérir le suffrage universel. Ce mouvement aboutit à l’instauration du suffrage « universel » masculin tempéré par le vote plural la même année. D’autres grèves générales allaient suivre jusqu’à l’instauration du suffrage « universel » masculin pur et simple en 1919.



La conquête du suffrage universel fut le premier et principal combat du POB lors de ses premières années d’existence. Il était guidé par la conviction que sa conquête et donc la démocratisation des institutions politiques étaient indispensables à l’amélioration des conditions de la classe ouvrière belge, parmi les plus dures d’Europe à cette époque.



Cette déclaration est donc exacte, et pourrait même s’entendre comme un hommage involontaire à l’action des socialistes. Pourtant, à sa lecture, difficile de réfréner un sentiment de malaise.



Les paroles sont belles, mais la chanson sonne faux.



Que pense vraiment le PTB de la conquête par les socialistes du suffrage universel dans notre pays ? Et que pense réellement le PTB du suffrage universel tout court ? Voire du droit de grève comme droit fondamental attaché à tout régime démocratique digne de ce nom ?



Le PTB est un parti marxiste-léniniste d’inspiration maoïste né il y a 40 ans sous le nom d’AMADA. Son identité politique est notamment fondée sur l’analyse que le chemin « social-démocrate » porte en lui, dans son essence et dès sa genèse, la trahison de la classe ouvrière.

C’est bien entendu son droit.

Pour le parti marxiste-léniniste, le POB/PS a trahi la classe ouvrière non pas depuis quelques années, non pas en raison des compromis et concessions réalisés au sein des récentes coalitions gouvernementales. Mais dès ses origines, dès 1894.

Il l’a trahie (et le syndicat socialiste avec lui bien entendu, son organisation se confondant à l’époque entièrement avec celle du parti politique) pour avoir organisé puis canalisé le mouvement ouvrier vers la conquête du suffrage universel et le réformisme.

 

C’est donc un différend qui porte sur les moyens et fins. Un différend idéologique et stratégique. Un différend aussi sur les valeurs oserais-je dire.

 

Pour le dire encore plus simplement, la trahison que reprochent fondamentalement les marxistes-léninistes au POB-PS, ce n’est pas de s’être (ou non) écarté au fil de son histoire de la Charte de Quaregnon[2] de 1894. La trahison, c’est la Charte de Quaregnon elle-même[3].

 

Voilà ce qu’écrit le PTB ces dernières années sur la conquête du suffrage universel et la démocratie parlementaire :

 

« Ne croyez pas qu’un quelconque parlement va résoudre vos problèmes. Le pouvoir réel n’appartient pas au Parlement, mais aux grands monopoles et aux forces de répression de la  bourgeoisie’. (…) Il faut participer aux luttes électorales pour faire passer quelques idées anticapitalistes dans la masse, démasquer les partis bourgeois (entendre : le PS) et recruter des sympathisants. Elles doivent aider à préparer l’organisation des luttes de classe à venir. (…). Mais cela reste dans le cadre de la démocratie bourgeoise et parlementaire. Voter PTB, c’est au moins commencer à mettre en cause le parlementarisme »[4]

 

« Les expériences confirment les positions de Marx, de Lénine et la troisième Internationale à ce propos. Ils rejettent tous la participation à l’exception d’une situation où le fascisme constitue une réelle menace » [5]

 

« Leur pratique gestionnaire (NDLR : aux socialistes) ne constitue nullement une rupture avec leur passé historique. Elle est la suite logique des choix politiques et idéologiques opérés depuis l’origine par le POB, leur continuation ».[6]

 

« Mais beaucoup de militants socialistes pensent qu’à ses débuts, leur parti a été un parti marxiste, menant la lutte de classe contre le capitalisme. C’est un mythe. Tout était déjà dans la phrase prononcée par César De Paepe[7], en 1890 : «Nous voulons le suffrage universel pour éviter une révolution. »[8]

 



Les textes du 8ème congrès du PTB de 2008, pourtant présentés comme ceux du grand « renouveau », ne dénotent pas :

 

« L’histoire enseigne que l’abandon des principes au nom de la tactique et de la souplesse peut aller très vite. C’est en 1885 qu’a été fondé le Parti ouvrier belge, ancêtre de l’actuel PS. Le POB a délaissé assez rapidement un certain nombre de principes socialistes – surtout à partir de sa première victoire électorale en 1894 »

 

« Le POB développa la théorie selon laquelle une majorité parlementaire allait conduire notre pays au socialisme. (…) En fait, avec cette théorie, le POB limitait à des réformes la lutte et l’action du parti. (…). Il tomba dans l’étroitesse réformiste. On se détournait de ce que Marx avait écrit : qu’un bouleversement, une révolution est nécessaire pour mettre un terme à la domination du capital. »

 

« …La classe travailleuse peut sans doute aller voter, mais elle n’a de toute façon rien d’essentiel à dire à propos du travail dans les entreprises, de la vie dans les quartiers, de l’organisation de l’enseignement, des soins aux personnes âgées ou des soins de santé en général. Il y a une tout autre vision, bien plus riche (sic), du concept de démocratie. Une vision qui présuppose également un tout autre État.(…) Et cela signifie enfin que l’État socialiste a le droit de se défendre contre l’agression et le travail de sape.  Bref, que le pouvoir politique est exercé par les travailleurs. Il s’agit d’une démocratie socialiste, participative et d’un État socialiste. » A cet endroit, une note de bas de page renvoie alors à l’exemple du système politique…cubain.

 

« Tout ce que les gens ont obtenu dans l’histoire, ce n’est pas par les élections, c’est par la lutte. Encore Maintenant. Les ouvriers ont-ils obtenu quelque chose par la démocratie représentative ? C’est plutôt par la lutte des classes », rappelle Lydie Neufcourt en février 2013, l’une des 8 membres du bureau du PTB[9].

 

Petite parenthèse : cette analyse de la « doctrine » du POB n’appartient qu’au PTB. Les camarades de la FGTB et de la mutuelle, dont l’organisation se confondait entièrement jusqu’en 1945 avec celle du POB, apprécieront comme ils le veulent ce regard sur l’étroitesse de leur action et bilan durant la première moitié du vingtième siècle.
 
Les rapports de force n’existent bien entendu pas qu’au parlement et au gouvernement. Si tel avait été le credo du POB-PS, gageons par exemple que le système politique et social qu’il a contribué à développer et préserver n’offrirait pas une aussi grande place aux syndicats, mutuelles et à la « concertation sociale » : absence de limitation du droit de grève, primes syndicales, législation sur la protection des délégués syndicaux et leur place dans l’entreprise, gestion des caisses de chômage, association dans la gestion de la sécurité sociale, association des partenaires sociaux au Plan Marshall, etc.
 
Il serait d’ailleurs intéressant de comparer l’état du rapport de force des syndicats belges après 26 années de « trahison » socialiste avec celui des syndicats britanniques après les années Thatcher.  Je referme la parenthèse.

 

En résumé, le PTB a toujours profondément méprisé le combat pour le suffrage universel du POB (lire l’organisation qui regroupait le syndicat, les mutuelles, les coopératives socialistes), et plus largement son action réformiste.

 

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« Tout était déjà dans la phrase prononcée par César De Paepe, en 1890 : «Nous voulons le suffrage universel pour éviter une révolution. » ».

 

Le péché originel, le ver dans le fruit, dès le début. C’est évidemment le droit du PTB de le penser. Et c’est une question intéressante et légitime.

 

Candidat… à l’élection, Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, ne disait pas fondamentalement autre chose le 1er mai 2014, à quelques jours du dernier scrutin : « L’histoire de notre pays se construit dans les rues, pas dans les parlements».

 

Les millions d’allocataires et de salariés de notre pays qui perdront leur indexation suite au vote par la majorité parlementaire du projet gouvernemental en question apprécieront aussi comme ils le veulent cette leçon d’histoire et de stratégie politique.

 

Et si l’histoire s’écrit exclusivement dans les rues, alors finalement à quoi bon le suffrage universel, non ?

 

Les socialistes pensent en effet, depuis leur création, que la conquête de libertés politiques, sociales, culturelles constitue à la fois une « fin », en tant qu’élargissement de l’espace d’émancipation de l’individu et de la société, et à la fois un outil pour améliorer le rapport de force des travailleurs et citoyens, et par là conquérir de nouveaux droits et libertés.

En d’autres termes, ce n’est pas les gouvernements et parlement ou la rue. C’est l’un et l’autre.

Le rapport de force doit se construire sur tous les terrains : politique, social, économique, culturel, celui des idées.

 

Donc en effet, entendre le Président du PTB déclarer devant un parterre de délégués syndicaux que sans la grève, les riches auraient toujours trois voix et les travailleurs aucune, suscite un profond malaise. Depuis sa création, le PTB a soutenu parmi les pires régimes de la planète sur le plan des libertés « de la rue », des libertés syndicales, comme sur celui des libertés politiques : Union soviétique, Cambodge de Pol Pot, Chine maoïste, Roumanie, Albanie, et beaucoup d’autres.

 

Des régimes, parfois, doublement criminels.

Criminels dans leurs méthodes. Le génocide au Cambodge ou la révolution culturelle chinoise en portent d’éloquents témoignages. Si la terreur de masse n’est pas nécessairement toujours présente, les droits et libertés individuels sont systématiquement restreints ou absents. Quant au droit de vote ou de grève, inutile d’y songer.

 

Criminels parce qu’ils ont trahi et sali l’idéal socialiste. Ils ont trahi l’espoir que l’expérience communiste a suscité partout dans le monde. Ils ont trahi l’idéal pur de millions de militants communistes de par le monde. Des militants qui ont offert à ces partis une confiance absolue. Leur vie, leur âme.

 

Dans ces pays, c’est vrai, les riches n’avaient pas trois voix, et les travailleurs aucune. Il n’y avait pas de voix à soumettre au suffrage tout simplement. Une petite nomenklatura, dont le train de vie n’avait par ailleurs parfois rien à envier à « nos riches », les avait toutes accaparées.

 

Vanter la conquête du suffrage universel par la grève chez nous, après avoir soutenu et vanté envers et contre tous des régimes qui ne (re)connaissaient ni l’un ni l’autre. Il faut oser. Malaise. 

Ils recommencent. Raconter des sornettes à la classe ouvrière (« ne pas désespérer Billancourt » disait l’autre).

 

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Mais ils ont changé dit-on, de bonne ou de mauvaise foi. Nous avons changé, disent-ils. « Depuis le congrès du renouveau de 2008, blabla ». « Et puis, vous revenez toujours avec des vieilles histoires, c’est le passé, du passé faisons table rase non ? »

 

D’abord, il ne s’agit pas d’histoire des années 20, ni même des années 50. Le PTB s’est créé pour rappel au début des années 70.  Le « rapport Khrouchtchev » était déjà largement connu à l’Ouest. Le parti marxiste-léniniste n’a jamais pris ses distances avec ces divers régimes, même longtemps après la connaissance de leur nature criminelle, et jusqu’à leur disparition quasi complète au cours des années nonante. Il les a soutenus, défendus, adulés, accompagnés jusqu’au bout.

 

Quand le Président-fondateur du PTB, Ludo Martens, écrit « un autre regard sur Staline »[10], nous sommes en 1995. Il dirigera le PTB jusqu’en 2008. Il n’est pas renversé, il adoube son successeur, Peter Mertens, qui assumait déjà depuis 2006 la gestion journalière du parti en raison de la maladie de son prédécesseur. 

 

Jusqu’au bout du bout, et même après.

 

En fait ce n’est pas tout à fait vrai. Ils ont pendant une longue période été très durs contre l’URSS, coupable à leurs yeux de s’être écarté de la doxa marxiste-léniniste, dans la ligne du parti communiste chinois. L’URSS était devenue le traître à abattre. Au point que le PTB devint…pro-OTAN ! Si, si. Les ennemis de mes ennemis…Et l’ennemi pour eux est toujours à gauche.

 

Ah oui, ils ont aussi émis une (très) légère réserve envers le régime chinois lors du congrès de 2008 (après avoir soutenu la violence de ses chars contre le mouvement des étudiants de la place Tien An Men – le pouvoir de la rue n’est pas bon partout apparemment), noyée parmi des considérations plutôt dithyrambiques.

 

Une réserve en raison des centaines de milliers (voire millions) de victimes des persécutions du début des années 50 ou de la « révolution culturelle » ?  Une réserve en raison des avancées beaucoup trop timides du régime en matière de droits de l’homme ces dernières années ? Du soutien de la Chine au régime nord-coréen ?

Non, vous n’y êtes pas. Parce que  « le nombre de capitalistes y augmente et peut devenir une force menaçante pour le socialisme. »

 

Jusqu’au bout, et donc même après.

 

Chaque fois qu’une personnalité du PTB était interrogée lors de la dernière campagne électorale sur le rapport de son parti à la démocratie et aux régimes en question, elle renvoyait en guise de réponse aux textes du 8ème congrès de 2008, « emblématique de la rupture et du renouveau à cet égard ».

 

Effectivement, on a le droit de changer et d’évoluer.

 

Si rupture et renouveau il y avait, on devrait donc s’attendre à y trouver une analyse critique approfondie du soutien politique et moral indéfectible apporté à ces régimes criminels durant des décennies au nom de l’idéal communiste du parti.

Allez, peut-être juste au moins une petite phrase évoquant un bilan mitigé de l’expérience communiste, mais incluant une reconnaissance ainsi qu’une condamnation des crimes commis et une prise de distance absolue avec ceux-ci ?

 

Rien de tout ceci, au contraire. Les nombreux passages des textes du 8ème Congrès évoquant l’expérience  des régimes « communistes » expriment en règle générale un sentiment de nostalgie et le regret de leur disparition, ainsi que le rappel de leurs « vertus ».

 

« Les efforts en vue de réaliser un monde autre que le monde capitaliste ne sont pas neufs. C’est pourquoi il est absurde de faire table rase des expériences de lutte et de socialisme du passé.

 

Les pays socialistes ont dû se construire dans des circonstances particulièrement difficiles et souvent à partir de rapports sociaux arriérés et féodaux. Ils ont fourni d’énormes efforts pour développer les forces productives, sans exploitation coloniale. Ils ont éliminé le chômage et instauré les législations du travail les plus progressistes (Sic ! Bonjour, amis syndicalistes. Mais oui, c’est bien connu, les délégués syndicaux des entreprises soviétiques ou chinoises étaient protégés par la loi contre des « vacances forcées »).

 

Le socialisme a dû se construire en conflit permanent avec un capitalisme répandu dans le monde entier. Et cela l’a marqué. Dès le tout premier jour de son existence, la jeune Union soviétique fut confrontée à l’interventionnisme, au blocus économique, à l’encerclement politique et militaire, à la subversion, au sabotage et à la désinformation. Dans de telles circonstances, la construction d’une société socialiste a toujours été un processus.

 

En Europe, le système capitaliste a eu besoin de plus de deux cents ans – et de beaucoup de violence – pour se réaliser. Le socialisme aura également besoin de temps. C’est un long processus historique, avec des hauts et des bas. Avec de belles réalisations, mais aussi avec de sérieuses erreurs ».

 

(Lesquelles ? Le « coup d’état fasciste » de Khrouchtchev, qui remet en cause l’héritage de Staline, ce qui provoque la scission avec les communistes chinois ? La nature liberticide des régimes ? Mais alors pourquoi parler de simples erreurs et surtout ne pas les expliciter ? Avaient-ils « leurs raisons » ? On n’en saura pas plus.)

 

« Lors de la chute du mur de Berlin, après la contre-révolution (sic !) de 1989, le parti est resté debout ».

 

« La contre-révolution (sic !) de velours, qui est venue à bout du socialisme en Union soviétique et dans les pays d’Europe de l’est, a eu des conséquences dramatiques ».

 

 

Fameux virage et renouveau.

 

Ce rapport « original » à la démocratie se retrouve jusque dans le fonctionnement des structures PTB.

Les militants du PTB ont peut-être toutes les qualités du monde, mais pas celle d’être capable d’élire leur président. Ce dernier n’est pas non plus élu par le « Congrès », organe souverain du parti, comme cela a été longtemps le cas dans nombre de formations politiques.

Selon cette formule, chaque section puis fédération élit ses délégués au Congrès, en délibérant en son sein sur le MANDAT confié à ses délégués, notamment quant au choix des candidats à la présidence.

Au PTB, rien de tout cela. Le Congrès, composé de délégués, élit à son tour un Conseil national, dont le nombre de membres avoisinerait la quarantaine, qui désigne dans un troisième temps le Président en son sein.

 

Les congrès ayant lieu, selon les statuts du PTB, au minimum tous les 5 ans, on peut supposer que le Président est désigné au minimum tous les 5 ans par le Conseil national renouvelé. Les moins distraits auront noté que le dernier Congrès a eu lieu en 2008.  Il y a 7 ans. Ça se passe comme ça chez les défenseurs d’une démocratie authentique.

 

Malaise donc quand le président du PTB se fait le chantre de la conquête du suffrage universel par le droit de grève. Malaise aussi quand il se fait par là le chantre également du droit de grève et des libertés syndicales.

 

A nouveau, la quasi-totalité des régimes « communistes » que le PTB a soutenus et continue de défendre ne connaissaient ni droit de grève, ni libertés syndicales, ni syndicats indépendants. Même à Cuba, où « faut une fois aller voir comment les Cubains tchatchent en rue »[11], il semble moins bon d’être syndicaliste que dans cet Etat bourgeois qu’est la Belgique.

Selon le rapport des violations des droits syndicaux, réalisé par la Confédération syndicale internationale, à laquelle émargent la FGTB et la CSC, il n’est pas toujours très bon d’être syndicaliste à Cuba (voir ici). Et les dirigeants syndicaux y sont désignés par…l’Etat et le parti (unique) communiste cubain.

 

Et à nouveau, nulle trace dans les résolutions du Congrès de 2008 de virage ou prise de distance sur ce point avec les régimes en question. Ni de la place des syndicats et de la concertation sociale dans le modèle d’ « Etat socialiste » promu par le PTB.

 

Le « virage du renouveau » du congrès de 2008 est une fable qu’ont avalée nombre de journalistes, observateurs ainsi que de militants syndicaux et de gauche sincères.

Virage il y a eu (en réalité il avait déjà été amorcé auparavant), mais pas sur la stratégie, le rapport aux libertés politiques et sociales, ou encore sur l’histoire. Le virage engagé lors de ce congrès se situe sur le plan de la tactique. 34 pages y sont consacrées. J’invite les intéressés à les lire ici. 30 recommandations y sont formulées, appelée « check list ».

La 19ème invite les militants à faire » la distinction entre ce qui se passe en salle et ce qui se passe en cuisine. Les meilleurs chefs coqs ne révèlent pas tous leurs secrets. La situation dans la cuisine est souvent plus chaotique que l’ambiance soignée de la salle ».

 

Le rapport aux syndicats se situe aussi dans le chapitre « tactique ». Il mérite même un chapitre à lui tout seul : « Attention particulière à la tactique syndicale ». Oui, oui.

Le Congrès de 2008 texte opère un virage tactique important dans le rapport du PTB aux syndicats.

Après le temps des guéguerres (l’ennemi est toujours à gauche, rappelez-vous), voilà le temps (provisoire.. ?) des mamours. Même si, le texte précise bien :

 

« Le syndicat est traversé par divers courants politiques. Il y a beaucoup de forces anticapitalistes en action, et il y a aussi des forces qui prêchent la réconciliation avec le système. Ce n’est pas une contradiction entre base et sommet mais une contradiction qui traverse tout le syndicat du haut en bas. Comme parti, nous dirigeons nos critiques contre les partis bourgeois qui essayent d’imposer leurs points de vue dans les syndicats et qui prennent la défense du capital. Nous savons que certains responsables syndicaux y contribuent activement. Quand nous critiquons, nous le faisons tactiquement : avec mesure, dans une attitude positive et en nous appuyant sur les positions des travailleurs. »

 

Ce virage est donc, selon les propres termes du PTB, tactique. Cela signifie que le PTB estime que pour réaliser sa stratégie en Belgique à l’heure actuelle, et atteindre son objectif, « l’état socialiste », il doit changer son rapport aux syndicats.

 

Pendant longtemps et jusqu’il y a peu encore, après avoir « tué » le Parti communiste (l’ennemi est toujours à gauche, rappelez-vous…), le PTB s’est en pris de manière directe et visible aux syndicats, et singulièrement à la FGTB. Bien plus d’ailleurs qu’au PS.

 

Son anti-syndicalisme viscéral l’avait amené par exemple, dès les années 70, à contester la direction syndicale de grèves menées sur les chantiers navals de Doel, ou aux ports de Gand et Anvers, allant jusqu’à créer des comités de grève concurrents.

 

Plus près de nous, beaucoup semblent avoir oublié l’épisode de « Clabecq », fin des années 90, début des années 2000. Pas Michel Nollet, Président de la FGTB nationale à l’époque. Un petit ouvrage, sorti récemment sans grand bruit, revient sur ces évènements : Michel Nollet, le radical ? D’ouvrier à Président de la FGTB[12].  Je le recommande.

 

Parmi une série de faits (plus que) troublants relatés, celui de l’occupation du siège de la FGTB et la séquestration de sa direction : avec l’aide du PTB, D’Orazio, ex-délégué syndical à Clabecq, en vint  à envahir le siège national de la FGTB et même menacer physiquement la direction ainsi que le personnel présent.

Ce « haut fait d’arme » aboutit à l’adoption d’un communiqué du Bureau de la FGTB de l’époque, dénonçant « la méthode du pire » du PTB et ses tentatives de déstabilisation.

La journaliste Bénédicte Vaes en fera l’écho dans Le Soir : « La FGTB ulcérée par les méthodes PTB Forges de Clabecq: les langues se délient » (voir ici, ou infra).

 

En octobre 2000, soit quelques jours avant l’occupation du siège de la FGTB, Jo Cottenier, aujourd’hui l’un des 8 membres du bureau du PTB, évoquait la lutte de Clabecq en ces termes :

 

« Notre parti s'engage dès ce premier jour et m'a chargé personnellement de travailler avec les dirigeants de la lutte. Depuis ce jour nous sommes devenus une équipe inséparable. J'ai pu apprécier de près l'intelligence et l'audace de dirigeants ouvriers qui sont inspirés par une conception du monde communiste. J'ai participé à toutes les décisions et j'ai pu contribuer dans toutes les initiatives parce que notre parti était en concordance parfaite avec ce qu'on appelle aujourd'hui en Belgique "l'esprit de Clabecq…"

 

Cette lutte restera un modèle parce qu'elle montre le potentiel anticapitaliste énorme qui est présent dans les masses à condition qu'elles soient dirigées par une ligne révolutionnaire, ce qui suppose la présence de dirigeants communistes. »

 

Raoul Hedebouw lui-même s’impliqua beaucoup auprès de D’Orazio à l’époque. Dans un entretien de décembre 2013 donné au site internet du PTB, l’actuel député fédéral rappelle que « la lutte des Forges de Clabecq a été pour beaucoup de jeunes un élément fondateur de leur engagement ».

La lutte de Clabecq est également érigée en exemple par le Congrès de 2008 :

 

« Nous avons une vision globale de la classe ouvrière. Une vision qui unifie, et non qui divise (sic). Qu’il s’agisse de la lutte des sidérurgistes des Forges de Clabecq… »

 

Il va sans dire que la tactique du PTB à l’égard des syndicats a fortement évolué depuis. L’analyse de cette question mériterait d’ailleurs un nouveau papier à elle seule. En tous les cas, réussir en quelques années à faire oublier cet épisode et à offrir dorénavant son plus beau visage aux syndicats est une prouesse objectivement impressionnante.

 

« Ferme sur les principes, souple sur la tactique », « distinguer ce qui se passe en salle et ce qui se passe en cuisine » comme recommandent les textes de 2008.

 

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J’avais assisté le 23 mai dernier à un débat sur la formation des listes « PTB-GO » (pour Gauche d’ouverture), auquel prenait part l’un des dirigeants de la LCR, Daniel Tarnuro.

 

Pour rappel, la LCR et le PC avaient rejoint le PTB pour former des listes communes « PTB-GO » en vue des élections du 25 mai dernier, avant d’être lâchés, une fois le scrutin passé.

 

Conscient du poids de « l’histoire du PTB », de son identité, lui, le représentant du courant trotskyste si longtemps honni par les marxistes-léninistes, défendait malgré tout le choix de rejoindre le PTB dans une stratégie politique commune ; « le PTB avait « changé », et puis la dynamique d’ouverture serait telle que ce dernier ne sera pas en mesure de revenir en arrière ».

 

Il n’a pas fallu un an[13].

 

Souple sur la tactique, ferme sur les principes (et ce qui se passe en cuisine). Pas donné à tout le monde.

 

 

ANNEXE :

 

 

LE SOIR, mercredi 29 novembre 2000.

 

La FGTB ulcérée par les méthodes PTB Forges de Clabecq: les langues se délient

VAES,BENEDICTE

Page 4

Mercredi 29 novembre 2000

La FGTB ulcérée par les méthodes PTB

Depuis l'occupation de sa maison par D'Orazio, le syndicat redoute d'être déstabilisé par l'ultra-gauche.

La FGTB est dans tous ses états. Les 40 membres de son Bureau ont signé, mardi, un communiqué dénonçant la politique du pire menée par le PTB (Parti du Travail de Belgique, extrême gauche stalinienne); le bureau veut dénoncer ses mensonges.

Que s'est-il passé?

Mercredi dernier, les inculpés du procès de Clabecq passent à la cour d'appel de Bruxelles. Qui décide de tout reprendre à zéro après deux ans d'audiences à Nivelles. Les «treize de Clabecq» sont accusés d'avoir incité, par leurs discours, à commettre des infractions. Notamment l'affrontement avec la gendarmerie sur l'autoroute (bulldozers contre auto-pompes).

A l'issue de l'audience, Roberto D'Orazio, l'ex-délégué principal FGTB des Forges et ± 200 personnes envahissent le siège de la FGTB, rue Haute, en forçant l'entrée. En fin d'après-midi, la FGTB fait évacuer la maison syndicale... par la police!

La semaine dernière, nous nous demandions pourquoi les responsables n'avaient pas fait appel à des «conciliateurs» pour éviter de recourir à une méthode aussi peu syndicale.

«ON SAIT OÙ TU HABITES»

Tous les témoignages que nous avons recueillis depuis lors prouvent que les méthodes des occupants étaient particulièrement musclées. Exemples: A 11 h, D'Orazio nous dit: «Si Nollet ne vient pas, on va casser toute la baraque en commençant par les fenêtres». Trois lieutenants de Nollet sont malmenés, frappés, injuriés, menacés physiquement, intimidés verbalement. Du genre: On sait où tu habites. On te retrouvera chez toi. Et gare à toi à la prochaine manif... A un permanent syndical, D'Orazio déclare d'entrée de jeu: Il faudra la police pour me sortir d'ici. Le président Michel Nollet, qui refuse de négocier sans évacuation préalable du bâtiment, finit par accepter une rencontre avec D'Orazio. Qui exige trois choses: La réintégration des délégués, la prise en charge des frais du procès, le lancement de 48 heures de grève générale contre la «justice de merde» .

Refus. Insultes. Les témoins syndicaux sont formels: D'Orazio était menaçant. Aucun dialogue, aucune conciliation n'étaient possibles.

Selon les témoins, et d'après des documents abandonnés lors de l'expulsion, l'occupation était bel et bien planifiée. Ses auteurs disposaient du plan de tous les accès de la FGTB, avaient prévu des sentinelles, des vivres, sacs de couchage.

Qui étaient ces occupants? Les témoins ont reconnu des membres du PTB (dont le «patron», Kris Merckx et l'un des avocats du procès de Clabecq, Jan Fermon). Beaucoup d'étudiants, dont les documents abandonnés prouvent l'appartenance à l'organisation marxiste-léniniste. Des membres de collectifs gaucho-anarchistes. Des syndicalistes, venus manifester au palais de Justice, ont vite quitté le siège de la FGTB. Clémente, leur organisation estime: Ils se sont fait manipuler: beaucoup ignoraient que le PTB venait pour occuper au finish. Plus ennuyeux pour la FGTB: parmi les leaders du coup de force, on reconnaissait le délégué principal d'une usine et un permanent CGSP...

Depuis ces évènements, le «patron» de la FGTB et ceux qui sont restés à ses côtés après avoir fait évacuer le personnel ont l'impression d'avoir vécu une prise d'otages, menée par une opération de commando.

C'est dans cet état d'esprit que Michel Nollet se rend le week-end dernier, au congrès de la Centrale générale qu'ila longtemps présidé. Le congrès débute dans une ambiance glaciale. Une bonne partie des délégués ne pardonne pas au président d'avoir fait donner la troupe dans la maison syndicale.

Nollet prend la parole. Il décrit ce qu'il appelle son calvaire de Clabecq. Il raconte les dérapages (de la bande D'Orazio), les opérations commando, les menaces de mort... Pas seulement sur les curateurs. Mais sur leurs propres dirigeants syndicaux.

Il rappelle qu'avant la reprise des forges faillies par Duferco, la délégation FGTB s'est opposée à un référendum secret des travailleurs (et que Nollet avait imposé). Que 90 % des ouvriers se sont prononcés en faveur du redémarrage. Sans lequel Clabecq serait aujourd'hui un désert. Bilan: 1.300 travailleurs sauvés et 500 prépensions négociées de justesse. Il réfute l'accusation d'avoir abandonné les treize inculpés de Clabecq à l'exclusion sociale : La plupart sont prépensionnés ou ont retrouvé un emploi. Il souligne que D'Orazio et les siens ont été exclus pour avoir cassé la figure d'un de leurs permanents (et craché au visage de Nollet).

«MÉTHODES FASCISTES»

Nollet conclut: Je tremble pour la démocratie. Et il dénonce ceux qui utilisent des méthodes fascistes. Il propose de démissionner s'il devait constater qu'il n'a plus la confiance de ses troupes. Trêve de frayeurs: il est longtemps acclamé par toute la salle, debout.

Après le baume au coeur, l'action. La FGTB fait son examen de conscience. Elle s'en veut d'avoir trop longtemps ignoré les méthodes inqualifiables d'une délégation de Clabecq devenue totalement autonome, face à une direction démissionnaire, à des autorités syndicales trop indulgentes. Aujourd'hui, elle craint de faire l'objet d'une déstabilisation. Sinon d'une infiltration par le PTB. Et elle contre-attaque.

BÉNÉDICTE VAES

Forges de Clabecq: les langues se délient

Depuis l'occupation du siège de la FGTB, les langues se délient. Sous le couvert de l'anonymat. Des anciens de Clabecq, militants syndicaux, évoquent le conflit aux FORges: C'était le règne de la terreur. Qui n'était pas, inconditionnellement avec eux (D'Orazio et les siens) était contre eux. Quand on n'était pas d'accord, on était collé contre le mur, menacé, insulté. On raconte l'intimidation verbale et physique pratiquée par les «gardes du corps» de D'Orazio. On parle de cadres déshabillés dans les ateliers, de travailleurs giflés. Pire: Un délégué a été obligé de s'agenouiller et on a uriné sur lui . Des permanents redoutaient qu'il leur arrive malheur quand ils se rendaient aux Forges. Des témoignages impossibles à vérifier. Mais concordants.

Des militants dénoncent les méthodes jusqu'au-boutistes: On ne peut pas mettre toute une ville en faillite sous prétexte de continuer la lutte. «Ils» disaient qu'ils voulaient donner la parole au peuple. Mais en réalité, ils voulaient prendre le pouvoir. Pourtant les syndicalistes reconnaissent le charisme de D'Orazio. C'est un excellent délégué mais il emploie mal son intelligence. Il s'est laissé mener. Il a été trop loin. Il ne peut plus faire marche arrière.

Le bureau de la FGTB reconnaît implicitement son erreur d'avoir laissé les choses aller trop loin. Il a déclaré, mardi: Le PTB cherche des martyrs. Il ne veut ni sauver l'emploi, ni faire acquitter les accusés. Cette politique du pire ne sera jamais celle de la FGTB. Il faut dénoncer les mensonges du PTB, faire preuve de courage et parler clair.

Que compte faire le syndicat socialiste? Mener une «chasse aux sorcières» ?

Urbain Destrée, président de la FGTB wallonne, dément. Mais il dit sa crainte d'infiltrations du syndicat: On a déjà désamorcé la menace de mainmise du PTB sur des formations syndicales. Mais nous craignons que ce parti stalinien domine de grosses enteprises, et y empêche toute démocratie syndicale . L'exemple cité: L'infiltration des TEC-Charleroi par le PTB.

Que va faire la FGTB? Le scénario est celui du débat, dit Destrée. Nous allons expliquer à nos affiliés qu'ils peuvent être abusés par des gens qui, sous couvert de scénario révolutionnaire, poussent le radicalisme et l'intégrisme jusqu'à rendre toute solution impossible. Sans se préoccuper du sort des travailleurs. Le PTB, qui défend la Corée du Nord et Milosevic, veut noyauter les assemblées, mettre la main sur le syndicat et déstabiliser ses dirigeants. Nous ne le laisserons pas faire.

B.V.

 



[1] Bien que parler de « droit de grève » semble anachronique, l’action de grève n’étant pas consacrée juridiquement, mais au contraire sanctionnée à l’époque.
[2] La Charte de Quaregnon est la charte des principes fondateurs du Parti ouvrier belge, ancêtre du Parti socialiste.
[3] Voir notamment le livre « La vie en rose. Réalités de l’histoire du parti socialiste en Belgique », S. Deruette et K. Merckx, 1999, Anvers, EPO. 
[4] Résolution du comité central sur la campagne électorale de 1999, 7 août 1999, in PTB, apprendre des campagnes électorales à Herstal et à Zelzate, Documents de base, EPO, p.18.
[5] Herwig Lerouge, « La participation des partis communistes au gouvernement : une façon de sortir de la crise capitaliste ? », Etudes marxistes, octobre-décembre 2012, n°2000, p. 52
[6] « La vie en rose. Réalités de l’histoire du parti socialiste en Belgique », S. Deruette et K. Merckx, 1999, Anvers, EPO, page 125.
[7] L’un des fondateurs du Parti ouvrier belge.
[8] Solidaire, 8 mai 1996, n°20.
[9] In PTB, nouvelle gauche, vieille recette, P. Delwit, Liège, Luc Pire, 2014, p. 355-356.
[11] Raoul Hedebouw sur Bel RTL, 26 février 2014.
 
[12] Par Jacques Michiels, Centrale Générale-Luc Pire, Liège, 2015
[13] https://ptbexplique.wordpress.com/2015/02/23/naufrage-en-mer-rouge-go-met-les-voiles/