A
l’occasion d’un colloque sur le droit de grève ce 20 mars, le président du PTB
Peter Mertens fit une déclaration rapidement relayée sur Twitter par l’un de
ses collaborateurs :
« Sans
le droit de grève, les riches auraient toujours trois voix et les salariés
aucune ».
Cette
phrase est dans une large mesure historiquement exacte[1].
Le
Parti ouvrier belge, qui deviendra le Parti socialiste belge après la seconde
guerre mondiale, décréta en 1893 la première grève générale de notre pays en
vue de conquérir le suffrage universel. Ce mouvement aboutit à l’instauration
du suffrage « universel » masculin tempéré par le vote plural la même
année. D’autres grèves générales allaient suivre jusqu’à l’instauration du
suffrage « universel » masculin pur et simple en 1919.
La
conquête du suffrage universel fut le premier et principal combat du POB lors
de ses premières années d’existence. Il était guidé par la conviction que sa
conquête et donc la démocratisation des institutions politiques étaient
indispensables à l’amélioration des conditions de la classe ouvrière belge,
parmi les plus dures d’Europe à cette époque.
Cette
déclaration est donc exacte, et pourrait même s’entendre comme un hommage
involontaire à l’action des socialistes. Pourtant, à sa lecture, difficile de
réfréner un sentiment de malaise.
Les
paroles sont belles, mais la chanson sonne faux.
Que
pense vraiment le PTB de la conquête par les socialistes du suffrage universel
dans notre pays ? Et que pense réellement le PTB du suffrage universel
tout court ? Voire du droit de grève comme droit fondamental attaché à
tout régime démocratique digne de ce nom ?
Le
PTB est un parti marxiste-léniniste d’inspiration maoïste né il y a 40 ans sous
le nom d’AMADA. Son identité politique est notamment fondée sur l’analyse que
le chemin « social-démocrate » porte en lui, dans son essence et dès sa
genèse, la trahison de la classe ouvrière.
C’est
bien entendu son droit.
Pour le parti
marxiste-léniniste, le POB/PS a trahi la classe ouvrière non pas depuis
quelques années, non pas en raison des compromis et concessions réalisés au
sein des récentes coalitions gouvernementales. Mais dès ses origines, dès 1894.
Il
l’a trahie (et le syndicat socialiste avec lui bien entendu, son organisation
se confondant à l’époque entièrement avec celle du parti politique) pour avoir
organisé puis canalisé le mouvement ouvrier vers la conquête du suffrage
universel et le réformisme.
C’est
donc un différend qui porte sur les moyens et fins. Un différend idéologique et
stratégique. Un différend aussi sur les valeurs oserais-je dire.
Pour
le dire encore plus simplement, la trahison que reprochent fondamentalement les
marxistes-léninistes au POB-PS, ce n’est pas de s’être (ou non) écarté au fil
de son histoire de la Charte de Quaregnon[2]
de 1894. La trahison, c’est la Charte de Quaregnon elle-même[3].
Voilà
ce qu’écrit le PTB ces dernières années sur la conquête du suffrage universel et
la démocratie parlementaire :
« Ne
croyez pas qu’un quelconque parlement va résoudre vos problèmes. Le pouvoir
réel n’appartient pas au Parlement, mais aux grands monopoles et aux forces de
répression de la bourgeoisie’. (…) Il
faut participer aux luttes électorales pour faire passer quelques idées
anticapitalistes dans la masse, démasquer les partis bourgeois (entendre : le PS) et recruter des sympathisants. Elles doivent
aider à préparer l’organisation des luttes de classe à venir. (…). Mais cela
reste dans le cadre de la démocratie bourgeoise et parlementaire. Voter
PTB, c’est au moins commencer à mettre en cause le parlementarisme
»[4]
«
Les expériences confirment les positions de Marx, de Lénine et la troisième
Internationale à ce propos. Ils
rejettent tous la participation à l’exception d’une situation où le fascisme
constitue une réelle menace » [5]
« Leur
pratique gestionnaire (NDLR : aux socialistes) ne constitue nullement une rupture
avec leur passé historique. Elle est la suite logique des choix politiques et
idéologiques opérés depuis l’origine par le POB, leur continuation ».[6]
« Mais beaucoup de
militants socialistes pensent qu’à ses débuts, leur parti a été un parti
marxiste, menant la lutte de classe contre le capitalisme. C’est un mythe. Tout était déjà dans la phrase prononcée
par César De Paepe[7],
en 1890 : «Nous voulons le suffrage universel pour éviter une révolution. »[8]
Les
textes du 8ème congrès du PTB de 2008, pourtant présentés comme ceux
du grand « renouveau », ne dénotent pas :
« L’histoire enseigne que l’abandon
des principes au nom de la tactique et de la souplesse peut aller très vite.
C’est en 1885 qu’a été fondé le Parti ouvrier belge, ancêtre de l’actuel PS. Le
POB a délaissé assez rapidement
un certain nombre de principes socialistes – surtout à partir de sa première
victoire électorale en 1894 »
« Le POB développa la théorie selon
laquelle une majorité parlementaire allait conduire notre pays au socialisme.
(…) En fait, avec cette théorie, le POB limitait à des réformes la lutte et
l’action du parti. (…). Il tomba dans l’étroitesse réformiste. On se détournait de ce que Marx avait
écrit : qu’un bouleversement, une révolution est nécessaire pour mettre un
terme à la domination du capital. »
« …La classe travailleuse peut sans doute aller voter, mais elle n’a de
toute façon rien d’essentiel à dire à propos du travail dans les
entreprises, de la vie dans les quartiers, de l’organisation de l’enseignement,
des soins aux personnes âgées ou des soins de santé en général. Il y a une tout
autre vision, bien plus riche (sic), du concept de démocratie. Une vision qui présuppose également
un tout autre État.(…) Et cela signifie enfin que l’État socialiste a le droit de
se défendre contre l’agression et le travail de sape. Bref, que le
pouvoir politique est exercé par les travailleurs. Il s’agit d’une démocratie socialiste, participative et d’un
État socialiste. » A cet endroit, une note
de bas de page renvoie alors à l’exemple du système politique…cubain.
« Tout ce que les gens ont obtenu dans l’histoire,
ce n’est pas par les élections, c’est par la lutte. Encore Maintenant. Les
ouvriers ont-ils obtenu quelque chose par la démocratie représentative ?
C’est plutôt par la lutte des classes », rappelle Lydie Neufcourt en février
2013, l’une des 8 membres du bureau du PTB[9].
Petite parenthèse : cette
analyse de la « doctrine » du POB n’appartient qu’au PTB. Les
camarades de la FGTB et de la mutuelle, dont l’organisation se confondait
entièrement jusqu’en 1945 avec celle du POB, apprécieront comme ils le veulent
ce regard sur l’étroitesse de leur action et bilan durant la première moitié du
vingtième siècle.
Les rapports de force n’existent
bien entendu pas qu’au parlement et au gouvernement. Si tel avait été le credo
du POB-PS, gageons par exemple que le système politique et social qu’il a
contribué à développer et préserver n’offrirait pas une aussi grande place aux
syndicats, mutuelles et à la « concertation sociale » : absence
de limitation du droit de grève, primes syndicales, législation sur la
protection des délégués syndicaux et leur place dans l’entreprise, gestion des
caisses de chômage, association dans la gestion de la sécurité sociale,
association des partenaires sociaux au Plan Marshall, etc.
Il serait d’ailleurs intéressant de
comparer l’état du rapport de force des syndicats belges après 26 années de « trahison »
socialiste avec celui des syndicats britanniques après les années
Thatcher. Je referme la parenthèse.
En résumé, le PTB a
toujours profondément méprisé le combat pour le suffrage universel du POB (lire
l’organisation qui regroupait le syndicat, les mutuelles, les coopératives socialistes),
et plus largement son action réformiste.
---------------
« Tout était
déjà dans la phrase prononcée par César De Paepe, en 1890 : «Nous voulons le
suffrage universel pour éviter une révolution. » ».
Le péché originel, le ver dans le fruit, dès le début. C’est
évidemment le droit du PTB de le penser. Et c’est une question intéressante et
légitime.
Candidat…
à l’élection, Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, ne disait pas
fondamentalement autre chose le 1er mai 2014, à quelques jours du
dernier scrutin : « L’histoire de
notre pays se construit dans les rues, pas dans les parlements».
Les
millions d’allocataires et de salariés de notre pays qui perdront leur
indexation suite au vote par la majorité parlementaire du projet gouvernemental
en question apprécieront aussi comme ils le veulent cette leçon d’histoire et
de stratégie politique.
Et
si l’histoire s’écrit exclusivement dans les rues, alors finalement à quoi bon
le suffrage universel, non ?
Les
socialistes pensent en effet, depuis leur création, que la conquête de libertés
politiques, sociales, culturelles constitue à
la fois une « fin », en tant qu’élargissement de l’espace
d’émancipation de l’individu et de la société, et à la fois un outil
pour améliorer le rapport de force des travailleurs et citoyens, et par là
conquérir de nouveaux droits et libertés.
En
d’autres termes, ce n’est pas les gouvernements et parlement ou la rue. C’est l’un et l’autre.
Le
rapport de force doit se construire sur tous les terrains : politique,
social, économique, culturel, celui des idées.
Donc
en effet, entendre le Président du PTB déclarer devant un parterre de délégués
syndicaux que sans la grève, les riches auraient toujours trois voix et les
travailleurs aucune, suscite un profond malaise. Depuis sa création, le PTB a
soutenu parmi les pires régimes de la planète sur le plan des libertés
« de la rue », des libertés syndicales, comme sur celui des libertés
politiques : Union soviétique, Cambodge de Pol Pot, Chine maoïste,
Roumanie, Albanie, et beaucoup d’autres.
Des
régimes, parfois, doublement criminels.
Criminels
dans leurs méthodes. Le génocide au Cambodge ou la révolution culturelle chinoise en portent d’éloquents témoignages.
Si la terreur de masse n’est pas nécessairement toujours présente, les droits
et libertés individuels sont systématiquement restreints ou absents. Quant au
droit de vote ou de grève, inutile d’y songer.
Criminels
parce qu’ils ont trahi et sali l’idéal socialiste. Ils ont trahi l’espoir que
l’expérience communiste a suscité partout dans le monde. Ils ont trahi l’idéal
pur de millions de militants communistes de par le monde. Des militants qui ont
offert à ces partis une confiance absolue. Leur vie, leur âme.
Dans
ces pays, c’est vrai, les riches n’avaient pas trois voix, et les travailleurs
aucune. Il n’y avait pas de voix à soumettre au suffrage tout simplement. Une
petite nomenklatura, dont le train de vie n’avait par ailleurs parfois rien à
envier à « nos riches », les avait toutes accaparées.
Vanter
la conquête du suffrage universel par la grève chez nous, après avoir soutenu
et vanté envers et contre tous des régimes qui ne (re)connaissaient ni l’un ni
l’autre. Il faut oser. Malaise.
Ils
recommencent. Raconter des sornettes à la classe ouvrière (« ne pas
désespérer Billancourt » disait l’autre).
---------------
Mais
ils ont changé dit-on, de bonne ou de mauvaise foi. Nous avons changé,
disent-ils. « Depuis le congrès du renouveau de 2008, blabla ».
« Et puis, vous revenez toujours avec des vieilles histoires, c’est le
passé, du passé faisons table rase non ? »
D’abord,
il ne s’agit pas d’histoire des années 20, ni même des années 50. Le PTB s’est
créé pour rappel au début des années 70.
Le « rapport Khrouchtchev » était déjà largement connu à
l’Ouest. Le parti marxiste-léniniste n’a jamais pris ses distances avec ces
divers régimes, même longtemps après la connaissance de leur nature criminelle,
et jusqu’à leur disparition quasi complète au cours des années nonante. Il les
a soutenus, défendus, adulés, accompagnés jusqu’au bout.
Quand
le Président-fondateur du PTB, Ludo Martens, écrit « un autre regard sur
Staline »[10],
nous sommes en 1995. Il dirigera le PTB jusqu’en 2008. Il n’est pas renversé,
il adoube son successeur, Peter Mertens, qui assumait déjà depuis 2006 la
gestion journalière du parti en raison de la maladie de son prédécesseur.
Jusqu’au
bout du bout, et même après.
En
fait ce n’est pas tout à fait vrai. Ils ont pendant une longue période été très
durs contre l’URSS, coupable à leurs yeux de s’être écarté de la doxa marxiste-léniniste,
dans la ligne du parti communiste chinois. L’URSS était devenue le traître à
abattre. Au point que le PTB devint…pro-OTAN ! Si, si. Les ennemis de mes
ennemis…Et l’ennemi pour eux est toujours à gauche.
Ah
oui, ils ont aussi émis une (très) légère réserve envers le régime chinois lors
du congrès de 2008 (après avoir soutenu la violence de ses chars contre le
mouvement des étudiants de la place Tien An Men – le pouvoir de la rue n’est
pas bon partout apparemment), noyée parmi des considérations plutôt
dithyrambiques.
Une
réserve en raison des centaines de milliers (voire millions) de victimes des
persécutions du début des années 50 ou de la « révolution
culturelle » ? Une réserve en
raison des avancées beaucoup trop timides du régime en matière de droits de
l’homme ces dernières années ? Du soutien de la Chine au régime
nord-coréen ?
Non,
vous n’y êtes pas. Parce que « le nombre de
capitalistes y augmente et peut devenir une force menaçante pour le socialisme.
»
Jusqu’au
bout, et donc même après.
Chaque
fois qu’une personnalité du PTB était interrogée lors de la dernière campagne
électorale sur le rapport de son parti à la démocratie et aux régimes en
question, elle renvoyait en guise de réponse aux textes du 8ème
congrès de 2008, « emblématique de la rupture et du renouveau à cet égard ».
Effectivement,
on a le droit de changer et d’évoluer.
Si
rupture et renouveau il y avait, on devrait donc s’attendre à y trouver une
analyse critique approfondie du soutien politique et moral indéfectible apporté
à ces régimes criminels durant des décennies au nom de l’idéal communiste du
parti.
Allez,
peut-être juste au moins une petite phrase évoquant un bilan mitigé de
l’expérience communiste, mais incluant une reconnaissance ainsi qu’une
condamnation des crimes commis et une prise de distance absolue avec
ceux-ci ?
Rien
de tout ceci, au contraire. Les nombreux passages des textes du 8ème
Congrès évoquant l’expérience des
régimes « communistes » expriment en règle générale un sentiment de
nostalgie et le regret de leur disparition, ainsi que le rappel de leurs
« vertus ».
« Les efforts en vue de réaliser un
monde autre que le monde capitaliste ne sont pas neufs. C’est pourquoi il est absurde de faire table rase des expériences de
lutte et de socialisme du passé.
Les pays socialistes ont dû se construire
dans des circonstances particulièrement difficiles et souvent à partir de
rapports sociaux arriérés et féodaux. Ils ont fourni d’énormes efforts pour développer
les forces productives, sans exploitation coloniale. Ils ont éliminé le chômage
et instauré les législations du travail
les plus progressistes (Sic !
Bonjour, amis syndicalistes. Mais oui, c’est bien connu, les délégués syndicaux
des entreprises soviétiques ou chinoises étaient protégés par la loi contre des
« vacances forcées »).
Le socialisme a dû se construire en conflit
permanent avec un capitalisme répandu dans le monde entier. Et cela l’a marqué.
Dès le tout premier jour de son existence, la jeune Union soviétique fut
confrontée à l’interventionnisme, au blocus économique, à l’encerclement
politique et militaire, à la subversion, au sabotage et à la désinformation. Dans
de telles circonstances, la construction d’une société socialiste a toujours
été un processus.
En Europe, le système capitaliste a eu
besoin de plus de deux cents ans – et de beaucoup de violence – pour se réaliser.
Le socialisme aura également besoin de temps. C’est un long processus historique,
avec des hauts et des bas. Avec de belles réalisations, mais aussi avec de
sérieuses erreurs ».
(Lesquelles ? Le « coup d’état fasciste » de Khrouchtchev,
qui remet en cause l’héritage de Staline, ce qui provoque la scission avec les
communistes chinois ? La nature liberticide des régimes ? Mais alors
pourquoi parler de simples erreurs et surtout ne pas les expliciter ? Avaient-ils
« leurs raisons » ? On n’en saura pas plus.)
« Lors de la chute du mur de Berlin, après la contre-révolution (sic !)
de 1989, le parti est resté debout ».
« La
contre-révolution (sic !) de velours, qui est venue à bout du
socialisme en Union soviétique et dans les pays d’Europe de l’est, a eu des conséquences dramatiques ».
Fameux
virage et renouveau.
Ce
rapport « original » à la démocratie se retrouve jusque dans le
fonctionnement des structures PTB.
Les
militants du PTB ont peut-être toutes les qualités du monde, mais pas celle
d’être capable d’élire leur président. Ce dernier n’est pas non plus élu par le
« Congrès », organe souverain du parti, comme cela a été longtemps le
cas dans nombre de formations politiques.
Selon
cette formule, chaque section puis fédération élit ses délégués au Congrès, en
délibérant en son sein sur le MANDAT confié à ses délégués, notamment quant au
choix des candidats à la présidence.
Au
PTB, rien de tout cela. Le Congrès, composé de délégués, élit à son tour un
Conseil national, dont le nombre de membres avoisinerait la quarantaine, qui
désigne dans un troisième temps le Président en son sein.
Les
congrès ayant lieu, selon les statuts du PTB, au minimum tous les 5 ans, on
peut supposer que le Président est désigné au minimum tous les 5 ans par le
Conseil national renouvelé. Les moins distraits auront noté que le dernier Congrès
a eu lieu en 2008. Il y a 7 ans. Ça se
passe comme ça chez les défenseurs d’une démocratie authentique.
Malaise
donc quand le président du PTB se fait le chantre de la conquête du suffrage
universel par le droit de grève. Malaise aussi quand il se fait par là le
chantre également du droit de grève et des libertés syndicales.
A
nouveau, la quasi-totalité des régimes « communistes » que le PTB a
soutenus et continue de défendre ne connaissaient ni droit de grève, ni
libertés syndicales, ni syndicats indépendants. Même à Cuba, où « faut
une fois aller voir comment les Cubains tchatchent en rue »[11], il
semble moins bon d’être syndicaliste que dans cet Etat bourgeois qu’est la Belgique.
Selon
le rapport des violations des droits syndicaux, réalisé par la Confédération syndicale
internationale, à laquelle émargent la FGTB et la CSC, il n’est pas toujours
très bon d’être syndicaliste à Cuba (voir ici). Et les
dirigeants syndicaux y sont désignés par…l’Etat et le parti (unique) communiste
cubain.
Et
à nouveau, nulle trace dans les résolutions du Congrès de 2008 de virage ou
prise de distance sur ce point avec les régimes en question. Ni de la place des
syndicats et de la concertation sociale dans le modèle d’ « Etat
socialiste » promu par le PTB.
Le
« virage du renouveau » du congrès de 2008 est une fable qu’ont avalée
nombre de journalistes, observateurs ainsi que de militants syndicaux et de
gauche sincères.
Virage
il y a eu (en réalité il avait déjà été amorcé auparavant), mais pas sur la
stratégie, le rapport aux libertés politiques et sociales, ou encore sur
l’histoire. Le virage engagé lors de ce congrès se situe sur le plan de la
tactique. 34 pages y sont consacrées. J’invite les intéressés à les lire ici.
30 recommandations y sont formulées, appelée « check list ».
La
19ème invite les militants à faire » la distinction entre ce qui se passe en salle et ce qui se
passe en cuisine. Les meilleurs chefs coqs ne révèlent pas tous leurs
secrets. La situation dans la cuisine est souvent plus chaotique que l’ambiance
soignée de la salle ».
Le
rapport aux syndicats se situe aussi dans le chapitre « tactique ». Il
mérite même un chapitre à lui tout seul : « Attention particulière à
la tactique syndicale ». Oui, oui.
Le
Congrès de 2008 texte opère un virage tactique
important dans le rapport du PTB aux syndicats.
Après
le temps des guéguerres (l’ennemi est toujours à gauche, rappelez-vous), voilà
le temps (provisoire.. ?) des mamours. Même si, le texte précise
bien :
« Le syndicat est traversé par divers
courants politiques. Il y a beaucoup de forces anticapitalistes en action, et il y a aussi des forces qui prêchent
la réconciliation avec le système. Ce n’est pas une contradiction entre
base et sommet mais une contradiction qui traverse tout le syndicat du haut en
bas. Comme parti, nous dirigeons nos
critiques contre les partis bourgeois qui essayent d’imposer leurs points de
vue dans les syndicats et qui prennent la défense du capital. Nous savons que certains responsables
syndicaux y contribuent
activement. Quand nous critiquons, nous le faisons tactiquement : avec
mesure, dans une attitude positive et en nous appuyant sur les positions des
travailleurs. »
Ce virage est donc, selon les propres
termes du PTB, tactique. Cela
signifie que le PTB estime que pour réaliser sa stratégie en Belgique à l’heure
actuelle, et atteindre son objectif, « l’état socialiste », il doit
changer son rapport aux syndicats.
Pendant longtemps et jusqu’il y a peu
encore, après avoir « tué » le Parti communiste (l’ennemi est
toujours à gauche, rappelez-vous…), le PTB s’est en pris de manière directe et
visible aux syndicats, et singulièrement à la FGTB. Bien plus d’ailleurs qu’au
PS.
Son anti-syndicalisme viscéral l’avait
amené par exemple, dès les années 70, à contester la direction syndicale de
grèves menées sur les chantiers navals de Doel, ou aux ports de Gand et Anvers,
allant jusqu’à créer des comités de grève concurrents.
Plus près de nous, beaucoup semblent avoir
oublié l’épisode de « Clabecq », fin des années 90, début des
années 2000. Pas Michel Nollet, Président de la FGTB nationale à l’époque. Un
petit ouvrage, sorti récemment sans grand bruit, revient sur ces évènements :
Michel Nollet, le radical ?
D’ouvrier à Président de la FGTB[12]. Je le recommande.
Parmi une série de faits (plus que) troublants
relatés, celui de l’occupation du siège de la FGTB et la séquestration de sa
direction : avec l’aide du PTB, D’Orazio, ex-délégué syndical à Clabecq,
en vint à envahir le siège national de
la FGTB et même menacer physiquement la direction ainsi que le personnel
présent.
Ce « haut fait d’arme » aboutit à
l’adoption d’un communiqué du Bureau de la FGTB de l’époque, dénonçant
« la méthode du pire » du PTB et ses tentatives de déstabilisation.
La journaliste Bénédicte Vaes en fera
l’écho dans Le Soir : « La FGTB ulcérée par les méthodes PTB Forges de Clabecq: les
langues se délient » (voir ici, ou infra).
En octobre 2000, soit quelques jours avant
l’occupation du siège de la FGTB, Jo Cottenier, aujourd’hui l’un des 8 membres
du bureau du PTB, évoquait la lutte de Clabecq en ces termes :
« Notre parti s'engage dès ce premier jour et
m'a chargé personnellement de travailler avec les dirigeants de la lutte.
Depuis ce jour nous sommes devenus une équipe inséparable. J'ai pu apprécier de
près l'intelligence et l'audace de dirigeants ouvriers qui sont inspirés par
une conception du monde communiste. J'ai participé à toutes les décisions et
j'ai pu contribuer dans toutes les initiatives parce que notre parti était
en concordance parfaite avec ce qu'on appelle aujourd'hui en Belgique
"l'esprit de Clabecq…"
Cette lutte restera
un modèle parce qu'elle
montre le potentiel anticapitaliste énorme qui est présent dans les masses à condition qu'elles soient dirigées par
une ligne révolutionnaire, ce qui suppose la présence de dirigeants communistes. »
Raoul Hedebouw lui-même s’impliqua beaucoup
auprès de D’Orazio à l’époque. Dans un entretien de décembre 2013 donné au site
internet du PTB, l’actuel député fédéral rappelle que « la lutte des Forges de
Clabecq a été pour beaucoup de jeunes un élément fondateur de leur
engagement ».
La lutte de Clabecq est également érigée en
exemple par le Congrès de 2008 :
« Nous avons une vision globale de la
classe ouvrière. Une vision qui unifie, et non qui divise (sic). Qu’il s’agisse de
la lutte des sidérurgistes des Forges de Clabecq… »
Il va sans dire que la tactique du PTB à l’égard des syndicats a fortement évolué depuis. L’analyse
de cette question mériterait d’ailleurs un nouveau papier à elle seule. En tous
les cas, réussir en quelques années à faire oublier cet épisode et à offrir dorénavant
son plus beau visage aux syndicats est une prouesse objectivement
impressionnante.
« Ferme sur les
principes, souple sur la tactique », « distinguer ce qui se passe en
salle et ce qui se passe en cuisine »
comme recommandent les textes de 2008.
---------------
J’avais assisté le 23 mai dernier à un
débat sur la formation des listes « PTB-GO » (pour Gauche
d’ouverture), auquel prenait part l’un des dirigeants de la LCR, Daniel
Tarnuro.
Pour rappel, la LCR et le PC avaient rejoint
le PTB pour former des listes communes « PTB-GO » en vue des
élections du 25 mai dernier, avant d’être lâchés, une fois le scrutin passé.
Conscient du poids de « l’histoire du
PTB », de son identité, lui, le représentant du courant trotskyste si longtemps
honni par les marxistes-léninistes, défendait malgré tout le choix de rejoindre
le PTB dans une stratégie politique commune ; « le PTB avait
« changé », et puis la dynamique d’ouverture serait telle que ce
dernier ne sera pas en mesure de revenir en arrière ».
Il n’a pas fallu un an[13].
Souple sur la tactique, ferme sur les
principes (et ce qui se passe en cuisine). Pas donné à tout le monde.
ANNEXE :
LE SOIR, mercredi 29 novembre
2000.
La FGTB ulcérée par les méthodes PTB
Forges de Clabecq: les langues se délient
VAES,BENEDICTE
Page 4
Mercredi 29 novembre 2000
La FGTB ulcérée par les méthodes PTB
Depuis l'occupation de sa maison par D'Orazio, le syndicat redoute
d'être déstabilisé par l'ultra-gauche.
La FGTB est dans tous ses états. Les 40 membres de son Bureau ont signé,
mardi, un communiqué dénonçant la politique du pire menée par le PTB (Parti du
Travail de Belgique, extrême gauche stalinienne); le bureau veut dénoncer ses
mensonges.
Que s'est-il passé?
Mercredi dernier, les inculpés du procès de Clabecq passent à la cour
d'appel de Bruxelles. Qui décide de tout reprendre à zéro après deux ans
d'audiences à Nivelles. Les «treize de Clabecq» sont accusés d'avoir incité,
par leurs discours, à commettre des infractions. Notamment l'affrontement avec
la gendarmerie sur l'autoroute (bulldozers contre auto-pompes).
A l'issue de l'audience, Roberto D'Orazio, l'ex-délégué principal FGTB
des Forges et ± 200 personnes envahissent le siège de la FGTB, rue Haute, en
forçant l'entrée. En fin d'après-midi, la FGTB fait évacuer la maison
syndicale... par la police!
La semaine dernière, nous nous demandions pourquoi les responsables
n'avaient pas fait appel à des «conciliateurs» pour éviter de recourir à une
méthode aussi peu syndicale.
«ON SAIT OÙ TU HABITES»
Tous les témoignages que nous avons recueillis depuis lors prouvent que
les méthodes des occupants étaient particulièrement musclées. Exemples: A 11 h,
D'Orazio nous dit: «Si Nollet ne vient pas, on va casser toute la baraque en
commençant par les fenêtres». Trois lieutenants de Nollet sont malmenés,
frappés, injuriés, menacés physiquement, intimidés verbalement. Du genre: On
sait où tu habites. On te retrouvera chez toi. Et gare à toi à la prochaine
manif... A un permanent syndical, D'Orazio déclare d'entrée de jeu: Il faudra
la police pour me sortir d'ici. Le président Michel Nollet, qui refuse de
négocier sans évacuation préalable du bâtiment, finit par accepter une
rencontre avec D'Orazio. Qui exige trois choses: La réintégration des délégués,
la prise en charge des frais du procès, le lancement de 48 heures de grève
générale contre la «justice de merde» .
Refus. Insultes. Les témoins syndicaux sont formels: D'Orazio était
menaçant. Aucun dialogue, aucune conciliation n'étaient possibles.
Selon les témoins, et d'après des documents abandonnés lors de
l'expulsion, l'occupation était bel et bien planifiée. Ses auteurs disposaient
du plan de tous les accès de la FGTB, avaient prévu des sentinelles, des
vivres, sacs de couchage.
Qui étaient ces occupants? Les témoins ont reconnu des membres du PTB
(dont le «patron», Kris Merckx et l'un des avocats du procès de Clabecq, Jan
Fermon). Beaucoup d'étudiants, dont les documents abandonnés prouvent
l'appartenance à l'organisation marxiste-léniniste. Des membres de collectifs
gaucho-anarchistes. Des syndicalistes, venus manifester au palais de Justice,
ont vite quitté le siège de la FGTB. Clémente, leur organisation estime: Ils se
sont fait manipuler: beaucoup ignoraient que le PTB venait pour occuper au
finish. Plus ennuyeux pour la FGTB: parmi les leaders du coup de force, on
reconnaissait le délégué principal d'une usine et un permanent CGSP...
Depuis ces évènements, le «patron» de la FGTB et ceux qui sont restés à
ses côtés après avoir fait évacuer le personnel ont l'impression d'avoir vécu
une prise d'otages, menée par une opération de commando.
C'est dans cet état d'esprit que Michel Nollet se rend le week-end
dernier, au congrès de la Centrale générale qu'ila longtemps présidé. Le
congrès débute dans une ambiance glaciale. Une bonne partie des délégués ne
pardonne pas au président d'avoir fait donner la troupe dans la maison
syndicale.
Nollet prend la parole. Il décrit ce qu'il appelle son calvaire de
Clabecq. Il raconte les dérapages (de la bande D'Orazio), les opérations
commando, les menaces de mort... Pas seulement sur les curateurs. Mais sur
leurs propres dirigeants syndicaux.
Il rappelle qu'avant la reprise des forges faillies par Duferco, la
délégation FGTB s'est opposée à un référendum secret des travailleurs (et que
Nollet avait imposé). Que 90 % des ouvriers se sont prononcés en faveur du
redémarrage. Sans lequel Clabecq serait aujourd'hui un désert. Bilan: 1.300
travailleurs sauvés et 500 prépensions négociées de justesse. Il réfute
l'accusation d'avoir abandonné les treize inculpés de Clabecq à l'exclusion
sociale : La plupart sont prépensionnés ou ont retrouvé un emploi. Il souligne
que D'Orazio et les siens ont été exclus pour avoir cassé la figure d'un de
leurs permanents (et craché au visage de Nollet).
«MÉTHODES FASCISTES»
Nollet conclut: Je tremble pour la démocratie. Et il dénonce ceux qui
utilisent des méthodes fascistes. Il propose de démissionner s'il devait
constater qu'il n'a plus la confiance de ses troupes. Trêve de frayeurs: il est
longtemps acclamé par toute la salle, debout.
Après le baume au coeur, l'action. La FGTB fait son examen de
conscience. Elle s'en veut d'avoir trop longtemps ignoré les méthodes
inqualifiables d'une délégation de Clabecq devenue totalement autonome, face à
une direction démissionnaire, à des autorités syndicales trop indulgentes.
Aujourd'hui, elle craint de faire l'objet d'une déstabilisation. Sinon d'une
infiltration par le PTB. Et elle contre-attaque.
BÉNÉDICTE VAES
Forges de Clabecq: les langues se délient
Depuis l'occupation du siège de la FGTB, les langues se délient. Sous le
couvert de l'anonymat. Des anciens de Clabecq, militants syndicaux, évoquent le
conflit aux FORges: C'était le règne de la terreur. Qui n'était pas,
inconditionnellement avec eux (D'Orazio et les siens) était contre eux. Quand
on n'était pas d'accord, on était collé contre le mur, menacé, insulté. On
raconte l'intimidation verbale et physique pratiquée par les «gardes du corps»
de D'Orazio. On parle de cadres déshabillés dans les ateliers, de travailleurs
giflés. Pire: Un délégué a été obligé de s'agenouiller et on a uriné sur lui .
Des permanents redoutaient qu'il leur arrive malheur quand ils se rendaient aux
Forges. Des témoignages impossibles à vérifier. Mais concordants.
Des militants dénoncent les méthodes jusqu'au-boutistes: On ne peut pas
mettre toute une ville en faillite sous prétexte de continuer la lutte. «Ils»
disaient qu'ils voulaient donner la parole au peuple. Mais en réalité, ils
voulaient prendre le pouvoir. Pourtant les syndicalistes reconnaissent le
charisme de D'Orazio. C'est un excellent délégué mais il emploie mal son
intelligence. Il s'est laissé mener. Il a été trop loin. Il ne peut plus faire
marche arrière.
Le bureau de la FGTB reconnaît implicitement son erreur d'avoir laissé
les choses aller trop loin. Il a déclaré, mardi: Le PTB cherche des martyrs. Il
ne veut ni sauver l'emploi, ni faire acquitter les accusés. Cette politique du
pire ne sera jamais celle de la FGTB. Il faut dénoncer les mensonges du PTB,
faire preuve de courage et parler clair.
Que compte faire le syndicat socialiste? Mener une «chasse aux
sorcières» ?
Urbain Destrée, président de la FGTB wallonne, dément. Mais il dit sa
crainte d'infiltrations du syndicat: On a déjà désamorcé la menace de mainmise
du PTB sur des formations syndicales. Mais nous craignons que ce parti
stalinien domine de grosses enteprises, et y empêche toute démocratie syndicale
. L'exemple cité: L'infiltration des TEC-Charleroi par le PTB.
Que va faire la FGTB? Le scénario est celui du débat, dit Destrée. Nous
allons expliquer à nos affiliés qu'ils peuvent être abusés par des gens qui,
sous couvert de scénario révolutionnaire, poussent le radicalisme et
l'intégrisme jusqu'à rendre toute solution impossible. Sans se préoccuper du
sort des travailleurs. Le PTB, qui défend la Corée du Nord et Milosevic, veut
noyauter les assemblées, mettre la main sur le syndicat et déstabiliser ses
dirigeants. Nous ne le laisserons pas faire.
B.V.
[1]
Bien que parler de « droit de grève » semble anachronique, l’action
de grève n’étant pas consacrée juridiquement, mais au contraire sanctionnée à
l’époque.
[2]
La Charte de Quaregnon est la charte des principes fondateurs du Parti ouvrier
belge, ancêtre du Parti socialiste.
[3]
Voir notamment le livre « La vie en rose. Réalités de l’histoire du parti
socialiste en Belgique », S. Deruette et K. Merckx, 1999, Anvers,
EPO.
[4]
Résolution du comité central sur la campagne électorale de 1999, 7 août 1999, in PTB, apprendre des campagnes électorales à Herstal et à Zelzate,
Documents de base, EPO, p.18.
[5]
Herwig Lerouge, « La participation des partis communistes au gouvernement :
une façon de sortir de la crise capitaliste ? », Etudes marxistes,
octobre-décembre 2012, n°2000, p. 52
[6]
« La vie en rose. Réalités de l’histoire du parti socialiste en
Belgique », S. Deruette et K. Merckx, 1999, Anvers, EPO, page 125.
[7]
L’un des fondateurs du Parti ouvrier belge.
[8]
Solidaire, 8 mai 1996, n°20.
[9] In
PTB, nouvelle gauche, vieille recette,
P. Delwit, Liège, Luc Pire, 2014, p. 355-356.
[11]
Raoul
Hedebouw sur Bel RTL, 26 février 2014.
[12]
Par Jacques Michiels, Centrale
Générale-Luc Pire, Liège, 2015
[13] https://ptbexplique.wordpress.com/2015/02/23/naufrage-en-mer-rouge-go-met-les-voiles/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire