Depuis la mise en place du nouveau gouvernement fédéral, il n’est quasiment pas un jour sans que des membres de la majorité ou certains faiseurs d’opinion n’accusent l’opposition – singulièrement le PS –, de mener « une opposition purement communautaire », faisant ainsi le lit du confédéralisme[1].
Un même reproche est régulièrement formulé à l’encontre de la
contestation sociale, en dépit du fait que les syndicats figurent parmi les
dernières organisations unitaires « de masse » du pays[2].
Pourtant, l’opposition n’a pas mis à l’agenda politique des
questions telles que la scission de compétences fédérales ou l’emploi des
langues à Bruxelles et dans la périphérie.
Elle n’a pas non plus menacé de faire basculer le pays dans
le confédéralisme, compte tenu du projet socio-économique du nouveau
gouvernement ou de sa composition.
Pas plus n’a-t-elle fustigé la Flandre dans son ensemble
lors des débats passionnels provoqués par les propos et attitudes de deux
ministres NV-A en rapport avec la collaboration et la « valeur
ajoutée » des diverses diasporas.
Les critiques à ce sujet ont émané de l’ensemble des partis
d’opposition, néerlandophones compris (PS, SP.A, Ecolo, Groen, Cdh, PTB-PVDA,
FDF), Vlaams Belang et PP exceptés. La députée socialiste flamande Karine
Temmerman fut ainsi la première à demander la démission de Théo Francken.
Mais pour le Premier Ministre, ses partenaires ou certains
commentateurs, une critique qui émane de députés ou citoyens wallons et
bruxellois deviendrait par nature
communautaire.
Cette « reductio
ad communautarum » est donc opérée systématiquement, non pas en raison
de l’objet du débat, mais en fonction
de l’origine régionale ou linguistique de
certains de ses protagonistes, à savoir l’opposition.
Ce procédé revient à établir un véritable point
« Godwin » dans le débat politique belge actuel: le point
« Bartwint »[3].
Ce point est atteint chaque fois qu’il est signifié à l’opposition qu’elle fait
le jeu de la NV-A et le lit du confédéralisme.
L’efficacité de la « reductio
ad communautarum » est bien entendu renforcée par le fait que deux
tiers des députés de l’opposition émargent au groupe linguistique français (43
députés sur 65): les critiques de l’opposition sont dès lors forcément beaucoup
plus souvent formulées par sa composante francophone.
La « reductio ad
communautarum » a pour finalité de délégitimer toute critique portée
par des élus ou citoyens francophones à l’encontre du gouvernement fédéral.
Dès lors que la contestation du gouvernement ferait le jeu de
la NV-A, l’opinion publique francophone est invitée à s’indigner de cette
contestation plutôt que d’y prendre part.
Peu importe les politiques menées ou les critiques formulées.
Par ricochet, au nord du pays, il s’imposerait de ne pas
« trahir » sa « Communauté », en affichant une proximité
avec des critiques émanant d’une opposition « purement
communautaire », à l’encontre d’une coalition décrétée comme celle que
voulait la Flandre.
Probablement convaincus des gains procurés à court terme par
un tel procédé, ses auteurs contribuent en réalité à valider les prémisses
idéologiques du nationalisme et de la pensée unique des « deux
démocraties ».
Selon l’idéologie nationaliste, il
n’y a pas, à côté des espaces démocratiques organisés au niveau des entités
fédérées, une démocratie belge dont les sujets sont des citoyens belges. Il y a
« deux démocraties », car l’origine linguistico-territoriale diverse
rendrait – selon elle – toute citoyenneté commune impossible. C’est bien la « reductio ad communautarum » :
la réduction irréductible de l’espace politique à deux communautés homogènes
qui s’opposent en raison de leur langue et de leur région d’origine.
En vertu de ce procédé, une même
action revêtirait une légitimité différente selon le rôle linguistique de son auteur.
Vous êtes francophone et
considérez que les propos de Francken sont racistes, vous faites du
communautaire et le jeu de la NV-A. Vous êtes néerlandophones[4], c’est
une opinion.
Vous vous « agitez
socialement » en Wallonie, vous faites du communautaire et mettez en
danger l’existence de la Belgique. Vous êtes docker d’Anvers et vous
occasionnez des débordements inacceptables lors de la manifestation, là non.
Ce double standard conduit à
ériger les citoyens de Wallonie et de Bruxelles en citoyens de seconde zone du
débat démocratique.
On n’entendra jamais le SP.A ou Groen dire à l’attention du VOKA et de
l’UNIZO : « une agitation patronale plus importante au nord qu’au sud
du pays risque de mettre en danger l’existence de la Belgique ». A juste
titre.
De même, n’a-t-on jamais entendu un Premier Ministre flamand dire à
destination de la droite et du patronat flamands « arrêtez de critiquer le
PS ou mon gouvernement, vous faites du communautaire et le jeu du PS ».
Le « point Bartwint »,
c’est l’injonction paradoxale suivante faite aux citoyens francophones :
si vous voulez lutter contre les idées de la NV-A et son idéologie
nationaliste, adhérez-y ou abstenez-vous de vous y opposer.
C’est, en forçant le trait, la sentence : « la
Belgique de la N-VA, tu l’aimes ou tu la quittes ».
Selon cette stratégie assumée par la N-VA, le recours
constant à la « reductio ad
communautarum » doit conduire progressivement les francophones à considérer
eux-mêmes qu’il leur est préférable de s’orienter vers le confédéralisme.
Ce n’est pourtant pas critiquer la politique ou l’attitude
des membres N-VA du gouvernement, voire du gouvernement tout entier, qui fait
le « jeu » de l’idéologie nationaliste de la N-VA. Pas plus d’ailleurs
que de partager avec elle de mêmes orientations socio-économiques.
Ce qui fait son jeu, c’est bien de valider les prémisses de son
idéologie nationaliste, sa vision de
la Belgique, c’est-à-dire… la
« reductio ad communautarum » systématique du débat.
[1]
Relevé très loin d’être exhaustif.
Le Premier Ministre C.
Michel (MR) : Le Soir, RTBF, Terzake (VRT) le 14/10/2014 ; JT RTBF le 16/10/2014 ; TV5
Monde le 13/11/2014 ; Le Soir
et Sud Presse le 16/11/2014.
A. De Croo, vice-Premier
Ministre VLD : le Vif/Express,
30/10/2014 ; La Libre Belgique,
8/11/2014
Denis Ducarme, Président du
groupe MR à la Chambre : L’Echo,
Villa Politica (VRT), le 13/11/2014.
[2]
D. Reynders, vice-Premier Ministre MR, « En cas d’agitation sociale plus
forte au Sud qu’au Nord du pays, il y a un danger pour l’avenir du pays» Bel-RTL, le 5/11/2014.
[3]
La formule est le résultat d’échanges
avec @GMilecan sur Twitter. Merci à lui.
[4]
La députée SP.A Fatma Pehlivan a qualifié le Secrétaire d’Etat Francken de
« raciste » lors des débats sur la déclaration gouvernementale, à
l’instar de Laurette Onkelinx, présidente du groupe PS à la Chambre.
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